ALTERNATIVE LIBERTAIRE  N° 11 - Février 2002  

 

 

L'ÉTAT DES PRISONS

LES PRISONS DE L'ÉTAT

 

Christophe Soulié parle de la prison à partir d'une expérience : le Comité d'Action des Prisonniers (C.A.P.) qui a posé un certain nombre de questions sur la prison à partir du point de vue des prisonniers, en France, dans les années 1972 à 1980, et qui a mené des actions autour de la prison et en l'élargissant à la question sociale. Depuis leur mise en place, les systèmes pénitentiaires ont été régulièrement secoués par des révoltes. Dans les prisons françaises il y en a eu à l’occasion de toutes les révolutions du XIXème siècle en France : 1830, 1848, 1870. De même, à la prison de la Santé, en 1967. Mais, aucune de ces révoltes n’avait débouché sur une organisation autonome des prisonniers, portant par leur lutte une critique sociale plus globale, dépassant le cadre de la prison. C’est ce qui s’est passé dans les années 70 avec la Comité d’Action des Prisonniers.

 


Ce dialogue est issu des interventions de Christophe Soulié lors du débat du 19 mai 2001 au Centre Libertaire de Bruxelles, ainsi que d'un entretien avec Xavier Bekaert ayant eu lieu quelques jours après.

 

XB: Comment as-tu fais la connaissance du CAP ? Était-tu un de leurs militants ?

CS: Personnellement je n'ai pas été militant de ce mouvement. Je suis tombé en prison en 1978. J'ai été détenu pendant trois ans. Quand j'ai connu des militants du CAP, à l'intérieur,   c'était déjà la fin. Il y avait une nouvelle donne au niveau carcéral, un nouveau régime de détention issu de la réforme de 1975, consécutive aux révoltes de 1972 à 1974. Les luttes collectives étaient très affaiblies à ce moment-là. C'était plutôt des luttes relativement individuelles, menées par des prisonniers autour de la question des quartiers de haute sécurité, avec un soutien collectif.

 

Comment t'es venue l'idée d'écrire ton livre ?

J'ai vécu la prison d'abord et j'ai essayé de l'analyser ensuite. Durant la détention, on est évidemment attentif à ce qui se passe, à ce que l'on vit, mais on n' a pas tellement de recul. Les relations à l'intérieur sont difficiles et les lectures sont contrôlées, la presse est contrôlée également. Cela a été très lent, en ce qui me concerne.

J'étais militant politique, j'essayais d'avoir des contacts. C'est en sortant de prison que j'ai eu envie de me battre contre le système carcéral, de manière effective. A l'intérieur, on est plongé dans un monde totalitaire. On pense avant tout à se protéger intérieurement. D'où un certain replis. Mais cela dépend aussi du type d'établissement dans lequel on est détenu et des gens qu'on rencontre. Je suis sorti à une époque où le mouvement n'existait plus. Mais j'ai rencontré à ce moment-là des anciens du mouvement. C'était le début de la libéralisation des ondes radio. On a monté des émissions. On était quelques uns pendant plusieurs années dans différentes villes à animer des émissions de radio de lutte contre la prison. Les ondes passant les murs, c'était une bonne opportunité. Quand j'étais à l'intérieur, j'en étais réduit à écouter radio Alger-3 et je rêvais de radio alternative.

Étant chômeur j'ai eu l'opportunité de faire une école de journalisme avec un financement des ASSEDIC (ce qui correspond à l'ONEM en Belgique). J'avais un mémoire de fin d'études à faire après 2 ans. Je l'ai fait sur le CAP, le journal des prisonniers. J'ai fréquenté des anciens du mouvement, certains de ceux qui l'avaient créé, et j'ai étudié leurs archives. Des années après, en fréquentant des étudiants et des militants se battant pour la libération de Philippe Casabonne, cet étudiant palois lourdement condamné en Espagne pour son soutien à la cause basque, on s'est posé à nouveau la question de la prison et de la répression. C'était à la fin des années 80. C'est ce qui m'a donné l'envie de transformer mon mémoire en livre.

 

Quel est l’origine du CAP ?

Les prisonniers ont construit leur mouvement dans les années 70. L'acte de naissance du CAP, c'est 1972. Ce sont des anciens prisonniers de la maison centrale de Melun, dans la région parisienne, qui ont créé le CAP. A l'intérieur, ils s'étaient organisés en se référant aux combats de la classe ouvrière, en faisant grève, en faisant des actions collective, avec des revendications pour l'amélioration des conditions de détention. Le CAP a repris cela mais il a aussi ajouté une autre revendication : l'abolition de la prison.. Cela peut sembler contradictoire mais ça a donné une force terrible au mouvement, car ils ont réussi à articuler une revendication d'abolition de la prison avec l'amélioration des conditions de détention dans un premier temps. Ils sont arrivés à prendre le système sur ces contradictions, à gagner des luttes ponctuelles. Par son action, le CAP a fortement marqué le débat des années 70. Par exemple, cela a permis la conquête du droit de lire en prison (d'étendre fortement les possibilités de lecture!). Ils ont essayé de conquérir  la liberté de s'organiser, mais cela a été  un échec. Ils ont mené des campagnes pour l'abolition de la peine de mort, contre les quartiers de haute sécurité. Ceux-ci ont d'ailleurs été supprimés, en 1981, après la victoire de Mitterrand, dans un premier temps pour être remis en place, tout de suite après, sous une autre forme, parce que  le mouvement était en pleine descente dans les années 80.

 

Comment décrire les fondateurs du CAP ?

Parmi ceux que j'ai connus au CAP, il n'y avait pas d'intellectuels, professionnellement parlant. Par contre il y en avait lors de la création du CAP.

En effet, le CAP est le résultat de la rencontre entre des prisonniers dits de droit commun contestant la prison, d'intellectuels comme Michel Foucault et de militants maoïstes de la Gauche prolétarienne qui voyaient dans le prisonnier un sujet révolutionnaire. C'était leur ouvriérisme qui les amenait là. Le terrain de la  classe ouvrière traditionnelle (française, mâle, qualifiée) étant occupée par la gauche classique, ils allaient vers les immigrés, les taulards. Dit comme ça, cela fait un peu opportuniste. Il y avait aussi leurs analyse. La gauche n'avait pas intégré cette évolution de la classe ouvrière (la place des O.S., le refus du travail, la mobilité, la déqualification...).

Le CAP est né de cette rencontre-là. Mais ceux qui l'ont pris en charge ce sont des gens comme Serge LIVROZET qui lui n'avait jamais fait d'études supérieures, comme ceux qui étaient avec lui à la centrale de Melun. Le CAP rompt avec les maos à un moment donné. Ceux-ci n'acceptaient pas le mot d'ordre de la prison pour personne. C'est l'affaire de Bruay-en-Artois qui révèle ce clivage. Là, un notaire est accusé du meurtre d'une fille de mineur. Sous l'impulsion de Serge July et de François Ewald, la gauche prolétarienne mène la lutte pour l'incarcération et la condamnation du notaire, parce qu'il est notaire et qu'il n'y a qu'un bourgeois qui ait pu commettre un tel crime. Les chemins se sont alors séparés.

Certains intellectuels l'ont accompagné encore un peu. Mais surtout ils ont légitimé sa parole et lui ont donné ainsi  accès à la place publique.

En fait, Mai 68 apparaît comme la grande coupure qui a facilité ce type de rapprochement.

Cela a débouché sur la remise en cause des institutions comme l'école, la psychiatrie, la médecine et bien sûr la prison.

 

Et quels sont ceux qui soutiennent le CAP ?

Des journaux comme Le Monde rendent compte de ce que fait le CAP, du moins à ses débuts. Ainsi le compte-rendu de la première AG occupe une demi page de ce journal si respectable. Une revue comme Esprit, qui est un truc plutôt catho, diffuse les textes de revendications des prisonniers en lutte et donne pas mal de place à la question de la prison. un journal  trostkyste comme Rouge soutient le mouvement, il y a des anarchistes aussi bien sûr.

 

Comment se définit le CAP ?

Le CAP lui-même se définit comme un mouvement plutôt libertaire et non violent. Ses membres mettent en avant une société basée sur des rapports non violents et égalitaires. Ils essayent de pratiquer une lutte non violente. C'est un choix stratégique. Certains de ses militants  ont côtoyé  le Mouvement pour une Alternative non Violente (MAN).

 

Quel était leur type d’actions ?

C'étaient des luttes qui reposaient sur la désobéissance, qui essayaient de prendre le système sur ses contradictions soit sur le terrain judiciaire dans les procès, soit sur des actions comme la simple vente du journal devant les prisons parisiennes (cela représentait, à l'époque 15.0000 détenus), ce qui était fondamental pour eux. Il fallait être devant les prisons les jours de parloir pour que les familles puissent acheter le journal. La police les arrête dans un premier temps. Ils sont 10 la première fois devant Fresnes, la fois suivante ils sont 20, puis 30. Ils s'arrangent pour que cela grossisse et que ce soit de plus en plus des gens différents. Au début il n'y a que des militants du CAP, des "repris de justice", socialement  très vulnérables, mais après il y a des lycéens qui s'habillent en bagnards, ensuite des profs, des intellectuels. Après Le Monde fait un article là-dessus, fait plancher un criminologue sur la question juridique de leur interpellation. Celui-ci dit que rien n'empêche de vendre un journal dans la rue si on ne le vend pas aux automobilistes. À partir de là les militants du CAP diffusent l'exemplaire du Monde dans lequel est publié cet article. Nouvelles interpellations, mais cette fois-ci pour avoir diffusé le respectable quotidien. De quoi mettre les rieurs de son côté. C'est là-dessus qu'ils gagnent. Avec l'optique d'être présent sur une lutte très concrète, très petite, mais pas du tout minimaliste. Une lutte gagnable donc très mobilisatrice.

 

On part de grands principes comme l'abolition de la prison, la liberté d'association  le droit du travail respecté, et puis on se bat pour un truc ponctuel, comme la liberté d'information qui passe par le journal. La liberté de lire. Il y a un prisonnier de la Santé qui commande exprès des livres dont il sait qu'ils ne passeront pas comme le livre de LIVROZET, le fondateur du CAP, le livre De la prison à la révolte.

L'administration les refuse et il lance une grève de la faim. Aussitôt c'est prétexte à lutte, mobilisation pour défendre le droit de lire. On va aller chercher des écrivains qui vont manifester avec des ex-taulards, devant la Santé, avec un haut-parleur pour informer qu'ils sont là et ce qu'ils font.  Là-dessus, le pouvoir cède.

Le CAP s'est construit autour de trucs comme cela. On l'a accusé de fomenter des révoltes alors qu'il n'y a jamais appelé,  tout simplement parce qu'il ne se voulait pas une avant garde. Par contre, il soutenait les prisonniers en lutte. C'est eux qui prenaient les plus gros risques. Cela aurait été plutôt malsain d'appeler depuis l'extérieur les prisonniers à se révolter. Partant de l'intérieur, le mouvement n'a pas la même signification. Lors des révoltes de 74 il y a eu au moins 7 morts et de nombreux blessés graves. À l'abri des murs les forces de l'ordre  peuvent faire ce qu'elles veulent. Quand j' étais à l'intérieur, j'ai entendu des témoignages de certains matons qui eux-mêmes étaient scandalisés par ce qu'ils avaient vu à l'époque. Une fois que les CRS rentrent, ils cassent tout ce qui est à portée de leur crosse de fusil. Les taulards qui se révoltent sont considérés par les autorités, voire les médias comme des moins que rien.  Les révoltes ont beaucoup marqué le CAP, on peut dire qu'il est issu de celles de 71-72. De nombreux membres les ont vécues. En 74 ceux qui l'ont fondé sont dehors mais ils sont devant les prisons lors des révoltes, à tracter, à intervenir, à manifester. Ils se font emballer. Là aussi il y a des procès.

Leurs actions reposaient  sur une symbolique forte. Par exemple, quand LIVROZET va défier à Colmar l'institution judiciaire lors d'un procès pour soutenir un de ses anciens compagnons détenu qui doit répondre de l'accusation de s'être révolté. Celui-ci est condamné très lourdement, à plusieurs années de prison en plus. LIVROZET s'exclame en plein tribunal "Pourriture de justice". Il est arrêté aussitôt et inculpé. Cela donne prétexte à un grand mouvement de mobilisation, avec la  sortie de numéros spéciaux. La grande presse en parle. Il devient un héros positif. Les militants du CAP, à cette occasion mettent la justice sur la défensive. Ils obtiennent le soutien du syndicat de la magistrature. L'idée, c'était de chercher des alliances avec d'autres groupes. En travaillant sur le CAP, j'ai remarqué cette capacité à agacer mais aussi à relier. Les gens du CAP avaient un autre langage et c'est peut-être là la différence avec des gens formés en fac. Ce sont souvent d'anciens voyous, pour ça le journal est savoureux à lire.  Pour un linguiste, il a un intérêt ce canard. Il est intéressant aussi pour cette manière de poser les choses et d'en parler.

 

Qui sont les gens du CAP ?

Le CAP était principalement un phénomène surtout parisien, bien qu'il y aient eu des militants dans d'autres villes, notamment à Lyon. Mais le journal était fait à Paris.

Le CAP, ce sont souvent des gens qui se sont cultivés en prison, qui y ont rencontré d'autres gens.

Leur analyse? On ne naît pas délinquant, on le devient. Cette idée que c'est la situation qui est importante. Ce qui s'attaque à la criminologie de l'époque. Cela revient aujourd'hui avec le débat sur l'inné et l'acquis, par le biais de la génétique. À l'époque on essayait de voir s'il y avait des chromosomes de la délinquance. C'est terrible quand on a un discours comme ça en face qui naturalise complètement la délinquance, cela empêche toute critique sociale.

C'est le même discours que tiennent actuellement les partisans de la répression avec ce concept abject de "tolérance zéro" (intolérance maxi) qui disqualifient toute critique en parlant d'"angélisme" et de "sociologisme".

Alors le CAP a introduit  cette idée que ce sont  les conditions dans lesquelles on met les gens qui les amènent à "faire du mal" (cela peut se discuter) et à qui. C'est vrai que malheureusement le plus souvent ce sont des pauvres qui volent d'autres pauvres. Car les riches savent se protéger, se mettre à distance. Ils laissent des secteurs entiers dans lesquels les gens se déchirent entre eux. On le voit beaucoup en ce moment avec "la petite délinquance", les bagnoles qui seront abîmées, etc ... Les riches savent être discrets, il n'y a pas de reportages sur les riches.

"On ne naît pas délinquant, on le devient" donc tout prisonnier est politique à partir de là. Tout prisonnier est la victime d'une politique qui a créé les inégalités. Par contre, avec une société socialiste (on voit qu'on est dans les années 70) il n'y aurait plus de délinquance. Mais ça c'est au début, après cela évolue et on essaie de comprendre les viols, les meurtres, ...  

 

Pas seulement la délinquance économique, mais aussi les affaires de mœurs?

Oui mais le CAP renvoie toujours au système qui produit des gens frustrés, qui exerce des pressions sur les personnes. Après, la question, c'est comment on va régler ces problèmes-là. Je me souviens de LIVROZET qui dit : "Pourquoi la délinquance, la criminalité, ne seraient pas le baromètre de ce qui va mal dans la société ?"

 

Cela fait penser à la fin de « L’enfance de Bonnot » de Boris Vian : « Si tout ce qui précède ne suffit à l’excuser/ On y trouve pourtant l’explication de ses méfaits/ Depuis qu’elle tourne mal et que la liberté s’effrite/ La Société a les criminels qu’elle mérite »

L'idée de l'abolition de la prison part d'un vécu. C'est quasiment une position éthique en disant ce n'est pas possible de vivre ça.  On ne discute même pas là-dessus. C'est vrai que même dans une société toute autre, qui ne fonctionne pas avec la concurrence,  il peut y avoir des problèmes qui émergent sinon c'est un monde totalitaire. Mais jamais l'enfermement ne doit être la réponse.

 

De plus, on peut imaginer que hélas des crimes passionnels sous le coup de la colère sur un court moment ou issus de longues tensions, existeront toujours. Y a-t-il eu des réflexions, des analyses concernant les alternatives à proposer à l'enfermement ?

Il y a eu des analyses assez poussées quand même, des échanges, des pratiques. Les lieux de vie qui ont émergé dans les années 70-80 ont été  considérés comme des alternatives à l'enfermement, comme par exemple le CORAL, dans le Gard. Ce sont des réseaux qui se sont créés dans les années 70 autour d'alternatives à la psychiatrie. Dans les années 80 on a beaucoup parlé du CORAL. On les a fait tomber pour pédophilie. C'était un coup monté. Le CORAL existe toujours. Il était fédéré dans un collectif qui s'appelait le CRA (Collectif Réseaux Alternatifs) mais qui, je crois, n'existe plus... Le lieu de vie c'est un lieu hors institution. On est dans une maison, on vit plus ou moins en communauté. C'est un lieu ouvert avec des gens qui l'animent et qui doivent être hyper costauds. Ils récupèrent souvent les gens dont les institutions ne veulent plus, les cas les plus lourds. A ce sujet, le film de Jean-Michel Carré, Visiblement, je vous aime, tourné au Coral avec les gens du Coral est intéressant à voir.

Mais, on peut juste donner des pistes. Il n'y a pas de solutions. L'abolition des prisons implique un tel autre fonctionnement social qu'il est impossible de donner des solutions toutes faites. Les alternatives sont toujours expérimentales. Mais c'est le fonctionnement de la société dans son ensemble qui est en jeu.

 

L’abolition de la prison risque hélas de rester encore longtemps abstraite et il est impossible de quantifier a priori combien il y aurait de crimes ou de meurtres en société libertaire.

Par contre on peut quantifier le nombre de pauvres en prison et constater que le système est complètement injuste. La majorité des prisonniers sont détenus principalement pour la dope ou l'absence de papiers. Et si on parle des affaires de mœurs comme l'inceste, est-ce que la prison y répond ?  Je ne le pense pas. Puis il y a les violences et les meurtres, mais la société met les gens en situation d'être violents et même pire, elle fait l'apologie, le culte du "gagneur", du "meilleur". C'est une sacré promotion de la violence qui s'opère là dans la pub, dans les médias.

Le CAP lui disait pour expliquer ces violences que l'État lui-même a bien organisé toutes les guerres coloniales. Toute une génération qui a été sous les drapeaux de 45 à 62, y a appris à torturer, à tuer, à être violents. À l'époque, dans les années 70, tout cela est à la fois très frais et en même temps refoulé. Par ailleurs, le CAP était une immense école contre les préjugés, qui amenait les gens à bouquiner, à analyser  les choses collectivement. C'est très moderne, dans ce qu'on appelle aujourd'hui les nouveaux mouvements sociaux, autour des sans papiers, du chômage, du sida, il y a cette idée que pour militer, pour s'affronter au pouvoir, il faut connaître, il faut accumuler les connaissances, les interpréter et avoir une réponse à donner au discours d'en face.  Il faut comprendre ce qui se passe. Ce sont des mouvements qui pratiquent à la fois l'action et l'accumulation de connaissances.

 

Cela rappelle les syndicats au début du siècle dernier.

Oui, cela évoque les bourses du travail. Je crois que le CAP à ce point de vue peut être classé dans ce genre de mouvement.

 

Pascal Marchand faisait remarquer qu'il faut aussi faire attention quand on parle de l'abolition de la prison, ce n'est pas uniquement l'abolition du principe de l'enfermement.

Dans le débat politique actuel on parle aussi d'abolition de la prison comme lieu d'enfermement et il est proposé des formes alternatives : la surveillance électronique. Je pense qu'elle reste aussi dans le même principe d'enfermement. Dénoncer la prison ça doit être aussi dénoncer la société de contrôle, la prison est un élément très visible qui émotionnellement choque un peu plus, mais il y a une banalisation de l'enfermement, du contrôle des classes sociales : chômage, minimex. Le bracelet électronique, des études montrent bien que ce n'est pas la panacée. À la limite les gens préfèrent se retrouver en taule que d'avoir un bracelet électronique car cela a des influences très négatives au sein de la famille. C'est finalement toute la famille qui encaisse le statut de prisonnier électronique.

La surveillance électronique, c'est la prison à domicile. C'est une manière de pouvoir étendre le système sans construire de prisons supplémentaires qui coûtent cher quand même. La bourgeoisie est très économe.  L'arrivée du bracelet électronique m'affole de ce point de vue.

On aura intérêt à se domicilier dans un quartier où il y a beaucoup de commodités et un appartement plutôt sympa.  Il y a le bracelet électronique et tout le contrôle social qui va avec.  Tout le réseau d'assistances sociales, la pression de conformité.

Dans le contexte actuel les peines dites alternatives ou des mesures dites alternatives permettent seulement de punir différemment et de contrôler plus de gens. Cela ne réduit pas le nombre de gens qui vont en prison.  Tant qu'il y aura des places en prison, elles seront prises.  On va placer en milieu fermé des jeunes qui auparavant auraient subi simplement des remontrances, une réprobation, une mise à l'épreuve, un travail d'intérêt général.

Les peines avec sursis probatoire ont commencé dans les années 60.  Les gens auraient eu un sursis simple, et non une mise à l'épreuve. Ils n'auraient pas été en prison. On construit des prisons en plus, cela ne réduit pas la surpopulation.  Il y a un effet de vide et ça se remplit tout de suite. Les juges gèrent par rapport au nombre de places dont ils disposent. Ils savent combien de gens ils peuvent mettre en prison.

 

LA SUITE DE CES ENTRETIENS PARAÎTRA DANS NOTRE NUMÉRO DE MARS.

 

Remerciements à Yves pour avoir organisé la conférence et à Boubou pour avoir pris le temps de retranscrire l'enregistrement audio.

 

Christophe Soulié est l'auteur de Liberté sur paroles, contribution à l’histoire du Comité d’Action des prisonniers, Analis, Bordeaux, 1995.