Colombie : la guerre sociale et les mouvements de résistance


La Colombie, vue d’ici, avec les maigres sources d’information dont nous disposons, semble un pays déses­pérément enfoncé dans la vio­lence, déchiré entre ses diver­ses guérillas et escadrons de paramilitai­res, dominé par les cartels de la dro­gue, bref totalement étranger à notre situa­tion. Pourtant, une fois informé, on se rend compte que les responsa­bles de la misère et de la violence là-bas sont les mêmes que ceux qui, ici, sèment la précarité et l’assujettissement : les multinatio­na­les et les gouverne­ments corrompus.

Un réseau d’organisations colom­biennes de divers hori­zons nous a contactés, au Centre libertaire, pour nous proposer une alliance contre cet ennemi commun inter­national, et nous informer de l’immense mou­vement de résis­tance populaire qui s’est mis en marche là-bas. S’intéresser à ce mouvement et le soutenir, ce n’est pas de la charité tiers-mondiste, c’est renforcer notre propre lutte contre les mê­mes domi­nants qui, partout dans le monde, se heurtent à une opposition de mieux en mieux organisée, de plus en plus puis­sante. C’est pourquoi nous pro­posons une pre­mière rencontre-dé­bat avec des représentants de ce réseau, en exil en Belgique, le 16 mars au Centre liber­taire. Pour pré­parer cette rencontre, voici déjà quelques documents éloquents four­nis par nos compagnons : d’un côté, les as­sassinats et intimida­tions commandés par Coca Cola et Nes­tlé; de l’autre, la mise sur pied d’une alter­native à la justice corrompue, sous la forme d’une tribunal popu­laire inter­national qui passera no­tamment par Bruxelles. Dossier long et ardu, peut-être, mais l’information est à ce prix, et l’efficacité du com­bat aussi.


Le point sur la situation
et sur les forces en présence


Richesse et appropriation

Zone de Texte: Contre la terreur globalisée des transnationales : globalisons l’unité, la solidarité et la lutte populaire.

Notre pays est riche, riche de mine­rais (premier producteur mondial d’émeraudes, mine de charbon à ciel ouvert, le plus grand filon d’or du monde, des réserves d’argent, de pla­tine, de nickel, d’uranium, de fer, …), riche surtout d’un métissage de peu­ples et d’une passion pour cons­truire; et pourtant il vit dans la plus cruelle pauvreté, dans une guerre d’extermination livrée par l’État, les monopoles colombiens et les multi­nationales, contre la population et ses organisations sociales, avec des moyens psychologiques, culturels, économiques et militaires. Sur cent Colombiens, 60 survivent en ven­dant aliments et boissons dans les rues, 21 n’ont aucun emploi, 9 tra­vaillent avec des contrats inférieurs à un an, et 10 seulement ont un em­ploi permanent et stable. Sur cent Colombiens, 63 vivent sous le seuil de pau­vreté, 33 appar­tiennent à la classe moyenne, et 4 sont riches au point de s’approprier 80% des ri­chesses produites par le pays.

Parmi nous qui vivons dans ces condi­tions d’indigence, 35.000 sont assassi­nés chaque année, 2.500.000 sont dé­placés à l’intérieur, 2.000.000 vivent à l’extérieur du pays, 2.500.000 enfants travaillent dans les rues. L’année pas­sée il y a eu en Colombie 600 massa­cres, 167 syndicalistes assassinés, et la cam­pagne de terreur officielle est telle que seuls 3% des travailleurs sont syndiqués.

A l’autre extrême, prenons comme exemple la compagnie Coca Cola, qui au début de la décennie gagnait 80 centimes pour chaque peso in­vesti, et à la fin de la décennie, un peso, avec des bénéfices annuels de 45.000.000.000 pesos (24.789.000 euros), tandis que les travailleurs de Coca Cola recevaient un peso au début de la décennie et 25 centimes mainte­nant. C’est là le résultat de la violation systématique de la convention collec­tive, et de l’alliance de Coca Cola avec les paramilitaires pour détruire le syn­di­cat : sept compa­gnons du syndicat assassinés, 300 déplacés, 8.000 tra­vailleurs expulsés, plu­sieurs sièges du syndicat incendiés, tout cela pour ob­tenir un rapport coût/utilité de 99%, au prix de l’assassinat, du licenciement, de la menace contre les travailleurs. En Colombie est en train de se déve­lopper un grand la­boratoire de mon­dialisation écono­mique et de globali­sation culturelle par la voie armée.

Multiples résistances

Mais de l’autre côté, il existe des pro­jets populaires de résistance au géno­cide culturel et économique, venant des communautés indigènes, des mou­vements de négritude, des organisa­tions paysannes, du mou­vement syn­dical (par exemple, le syndicat natio­nal de l’industrie ali­mentaire ou l’Union syn­dicale ou­vrière), des mou­vements de déportés de guerre, des communautés en ré­sistances, des mouvements d’économie agricole solidaire, des mouve­ments de jeunes de quartiers, tous tâchant de construire dans la pratique, au milieu de la guerre, des exercices de démocratie participa­tive, d’économie communau­taire, d’éducation populaire explorant des pédagogies alternati­ves, etc., pour exiger de l’État qu’il arrête la guerre, qu’il juge les coupables, qu’il répare le dommage causé aux victimes, qu’il rétablisse la mémoire des morts, qu’il freine le modèle fasciste de “dévelop­pement”, qu’il exige des Etats-Unis de ne pas parti­ciper ni favoriser la guerre en Co­lombie et qu’il demande aux peuples du monde la solidarité pour arrêter le génocide et construire un nouveau pays dans la paix et la justice so­ciale.

Ce que nous pouvons faire ici avec votre aide

·  construire des Comités Colombie dans les villes où vous pouvez nous ai­der, pour diffuser la situa­tion de notre pays, susciter et orienter la so­lidarité avec les communautés, et exercer une pres­sion sur l’État co­lombien et les multinationales qui possèdent un siège dans votre pays;

·  organiser des conférences et des projections de vidéos avec vous, pour susciter des discussions sur la situation et sur les moyens de ré­ponse;

·  préparer, diffuser et mettre en prati­que le Tribunal Public Popu­laire, qui se tiendra le 12 octobre à Bruxelles (voir texte suivant);

·  participer aux différents groupes qui, de Belgique, travaillent pour la Co­lom­bie dans des groupes pour les droits humains, pour les mou­vements indigènes et paysans;

·  participer, dans la mesure de nos possibilités, aux activités sociales et cultu­relles que vous réalisez.


Méthodes musclées de dégradation
des conditions de travail


Agression brutale de Nes­tlé contre les travailleurs co­lombiens

Le terrorisme psychologique est de­venu la meilleure arme de la transna­tio­nale suisse, contre les travailleurs de l’une de ses entrepri­ses en Colom­bie, “Comestibles La Rosa S.A.”. De­puis fin 2001, celle-ci exerce un vio­lent chantage contre les membres du Syndicat national des Travailleurs de l’Industrie Ali­mentaire, “SINALTRAINAL-Co­lombia”, les obligeant à re­noncer à leurs postes de travail, sous la me­nace de les licen­cier avec très peu d’indemnisation. Avec cette politi­que, Nestlé nous arrache nos droits et tente d’annihiler notre syndicat.

Par l’intermédiaire du chef des res­sources humaines de cette usine, M. Gus­tavo Grisales, Nestlé a annoncé que “vont être appliquées des mesu­res fortes et non populaires, qui ne nous plairont pas mais qu’ils pren­dront quand même”, “que, parmi l’ancien personnel, beaucoup ne méritent pas de faire partie de l’entreprise et qu’ils n’utiliseront pas le licenciement parce qu’ils sont obligés de le justifier”. De toutes manières ils les licencieront. Par la terreur ils chercheront à ce que les travailleurs renoncent et aillent re­joindre les cinq millions de sans-em­ploi, baisseront les coûts de la main-d’œuvre, les remplaceront par des temporaires et réduiront le nom­bre de bénéficiaires des conventions collecti­ves. Leur objectif est de dé­truire le syndicat et d’annihiler la convention collective de travail.

Contre la terreur globalisée des trans­nationales : globalisons l’unité, la soli­darité et la lutte populaire.

Direction nationale de Sinaltrainal, 20 janvier 2002.


Le Tribunal Public Populaire Hector Daniel Useche Beron “Contre l’impunité, SINALTRAINAL demande justice”


Antécédents et caractère du tribunal

Le Tribunal Public Populaire “Contre l’impunité, SINALTRAINAL de­mande justice” est une expression de lutte perma­nente des travailleurs orga­nisés dans le Syndicat National des Travail­leurs de l’Industrie Alimentaire SINALTRAINAL, pour surmonter les effets dévastateurs du terrorisme d’État et la politique des entreprises multinationales, et qui s’exprime de manière systématique et permanente au milieu des déportations, de la ré­pres­sion, de l’extermination et de la violation des droits politiques, écono­miques, sociaux et culturels des tra­vailleurs.

L’assassinat de 14 dirigeants ou­vriers, dont sept de Coca Cola, les menaces de mort, les déplacements forcés, la création de grossiers montages contre les travailleurs et dirigeants syndicaux pour les empri­sonner et criminaliser leur activité syndicale, les violations des sièges syndicaux, des coopératives et des maisons de membres du syndi­cat, l’extorsion et la séquestration pour obliger les travailleurs à renoncer à leur contrat de travail, au droit d’association et à la protestation syn­dicale, la violation des conven­tions col­lectives de travail, voilà quelle a été la politique systémati­que pour détruire la SINALTRAINAL, politique qui a causé ces dix dernières années le licen­ciement de centaines d’ouvriers des entreprises en Colombie : tout cela a provoqué la réduction de la SINALTRAINAL de plus de 50% de ses mem­bres.

L’État colombien, révélant sa com­plicité avec les multinationales, n’a ni enquêté, ni jugé, ni sanctionné les auteurs de tant d’horreurs. Au contraire, il continue à leur octroyer de plus grandes garanties pour qu’ils accentuent leur politique de terreur, à travers l’imposition de réformes, la privatisation des entreprises pu­bliques, la création de zones de, la criminalisa­tion de la pro­testation sociale et l’imposition du Plan Co­lombie pour une escalade de la guerre et pour l’élimination des organisations socia­les.

L’impunité a été la réponse de l’État à l’exigence de justice que récla­ment les communautés. C’est pour­quoi, le Tri­bunal Public Populaire, comme par­tie de la Campagne Per­manente, Natio­nale et Internationale “Contre l’impunité, la Colombie demande jus­tice”, cherche à contacter et à sensibili­ser les organi­sations populai­res et sociales pour qu’elles prennent conscience du dommage profond et de la destruc­tion du tissu social que commettent les violations des Droits humains.

Avec cet objectif, nous tentons de participer à la construction du mou­vement social contre l’impunité, pour exiger le droit à la vérité sur ce qui s’est passé, le droit à la justice face aux responsables des atrocités et le droit à la répara­tion pour les victimes de dommages.

Le Tribunal a également l’intention de créer des mécanismes de protec­tion et d’accompagnement, d’une part, des travailleurs du syndicat, d’autre part, de la population vic­time, afin de pro­téger leurs rêves et d’assurer leur pro­cessus d’organisation, alternative pour un avenir digne.

Nous souhaitons en appeler à la soli­darité de ceux qui s’émeuvent encore des assassinats, de la torture, de la disparition, du génocide et de la barba­rie à laquelle nous sommes soumis. Nous nous adressons aux hommes et aux femmes munis d’une conscience éthique, qui dans leurs mouvements incar­nent des idéaux de dignité pour tous, pour resserrer les liens de solida­rité et d’espoir en une nouvelle so­ciété.

Parce que nous ne croyons pas à l’impartialité et à l’objectivité de la “justice colombienne”, nous faisons appel à la conscience éthique des po­pulations, pour qu’à partir des princi­pes historiques du droit des gens et des peuples, soient jugés les responsables de ces crimes et soit prononcée une sentence.

Objectifs

·  Déclarer la responsabilité de Coca Cola et de l’État de Colombie dans la violation systématique des Droits humains, qui se traduit par des assas­si­nats, détentions, dépla­cements for­cés, menaces, licen­ciements, viola­tions des conven­tions nationales et internationales.

·  Le Tribunal Public doit conduire à ce que tant l’entreprise Coca Cola que l’État colombien cessent leur politi­que de persécution, criminali­sation et extermination des tra­vailleurs et ap­pliquent les normes en vigueur pour le respect des Droits humains et la préservation de l’environnement. Ils doi­vent également adopter la propo­sition de la SINALTRAINAL sur la ré­pa­ration auprès des victimes des agressions.

·  Nous espérons réunir la commu­nauté internationale contre les agressions perpétrées contre les communautés dans tous les pays, et renforcer la cons­truction du grand mouvement antiglobalisa­tion.

Déroulement du procès

Le tribunal tiendra son procès en trois sessions : la première aura lieu le 22 juillet 2002 à Atlanta, la se­conde le 12 octobre à Bruxelles, la troisième le 5 décembre à Bogota.

Il sera composé de personnalités et de représentants d’organisations sociales de différents pays qui, par leurs prin­cipes humanistes, garanti­ront l’impartialité de l’enquête et de la déclaration politique finale.

SINALTRAINAL fournira l’information sur les cas les plus signi­ficatifs de crimes et mauvais traite­ments commis contre les tra­vailleurs et l’organisation syndicale, par la pré­sentation de témoignages et de docu­ments.

Les représentants des organisations sociales et les personnalités, en toute autonomie, demanderont les preuves qu’ils estiment nécessaires pour véri­fier la véracité des faits et les niveaux de responsabilité de l’entreprise Coca Cola et de l’État colombien. Les preu­ves vérifiées, ils délibèreront et émet­tront une décla­ration politique dans laquelle ils se prononceront sur la responsabi­lité dans les crimes perpé­trés et sur les sanctions à imposer aux responsa­bles. Les organisations repré­sentées dans le Tribunal s’engagent à réali­ser les actions définies comme sanctions dans la déclaration.

Aspect organisationnel

Pour garantir le sérieux, l’objectivité et le succès du Tribunal, cinq équi­pes de travail seront mises sur pied :

·  équipe d’enquête : chargée de la documentation sur les faits;

·  équipe de travail politique : char­gée des relations avec les organi­sations sociales de Colombie et du monde, pour leur faire connaître le tribunal et obtenir leur appui;

·  équipe de diffusion : chargée de tout ce qui concerne la communi­cation, la propagande et la diffu­sion du tribu­nal et de ses résultats;

·  équipe économique : chargée de coordonner tout ce qui concerne l’obtention des ressources néces­sai­res;

·  équipe de travail international : char­gée d’établir et de maintenir les rela­tions avec les différentes organisa­tions et personnes qui, de différents pays, se joignent au Tri­bunal Public.

Comment se joindre au Tri­bunal

Il y a différentes manières de se join­dre ou de donner son appui au Tribu­nal Public Populaire :

·  souscrire au présent document, en tant que personne ou organisation;

·  faire en sorte que de nouvelles per­sonnes et organisations rejoi­gnent le Tribunal;

·  créer des équipes de soutien et de diffusion dans tous les pays;

·  aider à l’obtention de ressources économiques;

·  participer aux sessions du Tribunal et aux conclusions qui seront émi­ses.

«   Pour toute information com­plémentaire

Sinaltrainaldinal@hotmail.com

Audpubcoka@hotmail.com

 

«   Dossier présenté et traduit par Annick (Centre libertaire)