Affaire Dutroux :
Où en est-on début 2002?


En janvier 2002, on me remet­tait un petit dossier sur les derniers développements de l’enquête DUTROUX. En le li­sant, j’appris ou je crus ap­prendre que le pro­cès de DUTROUX, LELIEVRE et MARTIN serait pour tout bien­tôt...

Au pas de course vers les assises!

Ce dossier racontait que, fin 2000, le procureur BOURLET, mécontent du manque flagrant de curiosité du juge d’instruction LANGLOIS, avait dé­posé une requête devant la Chambre des mises en accusation. Il demandait à cette juridiction d’ordonner des de­voirs d’enquête auxquels Monsieur LANGLOIS se refusait. Parmi ceux-ci, il y avait l’analyse de tous les che­veux saisis dans la cache où avaient vécu Sa­bine et Laetitia, ce qui pourrait dé­terminer quelles autres fillettes avaient habité la cache. Pourquoi Monsieur LANGLOIS ne voulait-il pas les faire expertiser? Pour bien des raisons... un peu tirées par les che­veux. Aussi Monsieur BOURLET saisit-il la juridiction compétente pour contrôler le travail de Monsieur LANGLOIS et décider des choses à sa place.

Le 22 février, Monsieur BOURLET plaida à l’audience de la Chambre des mises, et ne demanda pas seu­lement que ces cheveux soient ana­lysés. Il y évoqua encore trente et une autres pistes, notamment de celles que CONNEROTTE et lui avaient soule­vées en septembre-octobre 96, mais que LANGLOIS, succédant à CONNEROTTE, n’avait pas jugées à propos d’approfondir durant les quatre an­nées de sa charge.

Les magistrats de la Chambre des mises écoutèrent poliment Monsieur BOURLET, reçurent son mémoire méticuleusement argumenté, et puis, il fallut attendre. Durant le prin­temps et l’été 2001, ils convoquè­rent LANGLOIS cinq fois. Ils ne convo­quèrent plus BOURLET. En­fin, le 22 octobre 2001, la Cham­bre des mises rendit son arrêt.

La procureure générale Anne Thily l’annonça comme « une solution qui donnerait satisfaction à tout le monde ». Bof...

La Cour « constate que le déroule­ment de l’instruction ne révèle pas, en l’état actuel de la cause et en fonction de sa complexité, de retard anormal. » La Cour « constate que le juge d’instruction a répondu de manière adéquate aux observations du Procu­reur général. » Mais, secret de l’instruction oblige, on ne sait pas quelles ont été ces observations ni ce que la Chambre des mi­ses y a ré­pondu.

Par ailleurs, la cour se préoccupe beaucoup de la longueur de l’enquête. En vertu des droits de l’être humain, tous les inculpés doi­vent être jugés dans un délai raison­nable. N’est-on pas en train de le dépasser? Si bien sûr, le « délai rai­sonnable est sur le point d’expirer » estime Madame THILY. Aussi, on fixe au procureur BOURLET un délai : pour le trente et un janvier 2001 au plus tard, il devra avoir décidé qui des inculpés (DUTROUX, MARTIN, LELIEVRE, NIHOUL, PINON, DIAKOSTAVRINOS, ZICOT...) sera en­voyé au procès d’assises et pour quels faits. Beau casse-tête pour Mon­sieur BOURLET, étant donné qu’en quatre ans d’enquête, le juge LANGLOIS, très économe de ses pouvoirs, a refusé d’autoriser quantité de perquisitions et de re­cherches et n’est parvenu à rien éclaircir de la manière dont Julie et Mélissa, An et Eefje ont été enle­vées, violées, tuées : ni quand, ni par qui.

Dans l’état actuel de l’enquête, tous les suspects risquent donc d’être ac­quit­tés au bénéfice du doute si BOURLET les accuse du meurtre des quatre fil­lettes. DUTROUX, NIHOUL et LELIEVRE pourront être condam­nés pour l’enlèvement et la séquestra­tion de Sabine et Laeti­tia, et c’est tout.

Voilà qui rappelle, mutatis mutan­dis, qu’AL CAPONE ne fut jamais mis à l’ombre que pour fraude fis­cale.

Il faut donc vite replonger dans « les dossiers X » en vue de faire savoir au lecteur d’AL le décalage qui existera certainement entre les dé­bats en cour d’assises et le début prometteur de l’enquête, lorsqu’elle se déroulait sous la houlette de Mes­sieurs CONEROTTE et BOURLET, ainsi que d’une équipe de gendar­mes et de policiers dont les change­ments ulté­rieurs de composition ont aussi ja­lonné l’enlisement de l’enquête.

Je me souviens de Monsieur BOURLET annonçant à la radio qu’il irait jusqu’au bout, « si on me laisse faire ». Branle-bas de combat chez les jour­nalistes : il y aurait donc un risque qu’on ne le laisse pas faire! Eh bien, en quatre ans, on a bien laissé faire Monsieur BOURLET, mais on n’a laissé faire personne autour de lui, ce qui est revenu au même que de ne pas le laisser faire.

C’est alors que le prédateur isolé se fait recaler…

J’étais donc en pleine relecture (si j’ose dire) de toute l’histoire DUTROUX, NIHOUL et autres X, lorsque éclata une petite affaire.

Début janvier, le sénateur VLD DEDECKER obtint du Ministre de la justice Marc VERWILGHEN l’autorisation d’aller visiter DUTROUX dans sa pri­son. Il ne fit ni une, ni deux : il lui fit un enfant dans le dos. Il se rendit à la prison avec un accompagnateur qu’il fit passer pour son chauffeur. Polis, les policiers de garde laissèrent entrer les deux VIP sans contrôle d’identité ni même au­cun passage par le porti­que détecteur de métaux. En réalité, ledit chauffeur n’était autre que le journaliste de la chaîne privée VTM, Dan VAN HEMELDONCK, muni d’un petit enregistreur.

L’interview de DUTROUX fit la une du journal de VTM le lundi 18 janvier, avant d’être diffusée in extenso dans l’émission Telefacts de VTM du 21 janvier. Pas moins d’un million de Flamands assistèrent à cette émission.

Peut-être que Monsieur DEDECKER se souvenait de la prési­dence brillante et engagée de Mon­sieur VERWILGHEN, quand il n’était pas encore ministre, à la commission par­lementaire qui confirma l’existence des faits d’étouffement de l’enquête et établit certaines responsabilités. Mon­sieur DEDECKER crut que Monsieur VERWILGHEN lui pardonnerait sa ma­nœuvre. Bien au contraire, il se fit littéralement engueuler par le Ministre de la justice en plein par­lement, blâ­mer par son parti, et il paraît que les repré­sailles ne sont pas terminées.

Parallèlement à ces débats parle­men­taire, a lieu sur la partie droite du site d’Indymedia toute une cam­pagne de dénigrement aussi stupide que véhé­mente à l’égard de la chaîne VTM, au motif qu’elle a réalisé là une opération juteuse et bassement commerciale au mépris de sacro-saintes règles de déontolo­gie journalistique. Dans De Mor­gen, Douglas DE CONINCK, jour­naliste au Morgen et co-auteur de l’ouvrage « les dossiers X », reprend pour VTM. Au fond dit-il, quels que soient les motivations de ceux qui ont réalisé ce scoop, il a le mé­rite de re­mettre l’affaire DUTROUX à l’ordre du jour. Oui mais, lui répond-on, rien ne justifie tant de li­berté prise avec la déonto­logie de la pro­fession. On ajoute aussi, sans rire, que la superche­rie de VAN HEMELDONCK anéantit des an­nées de collaboration amicale entre les journalistes et l’appareil judi­ciaire. Et tout cela pourquoi, dit-on : cette inter­view est vide d’informations nouvelles et DUTROUX ne fait que s’y lamen­ter!

Voire. Souvenez-vous d’une des der­nières apparitions de DUTROUX avant cette interview. C’était il y a plusieurs années. Il était entouré de flics et mal­gré la distance à laquelle les journalistes étaient tenus, on l’entendaient crier à leur intention : « Je veux parler! Je veux parler! » Eh bien en ce mois de janvier, tou­jours aussi fâché sur ses anciennes relations d’affaires, il promet qu’un jour il en dira davantage sur les ra­mifications et la clientèle de son réseau.

Il n’en dit guère plus. Ce n’est pas bien fracassant. Pourtant, précisé­ment à ce moment, on apprend, no­tamment via la revue française Ma­rianne, que ce n’est plus du tout une priorité de l’envoyer en cour d’assises le plus vite pos­sible avec ses comparses. Bien au contraire, à présent, on nous annonce que le procès d’assises n’aura pas lieu avant 2003. Exit le souci de res­pecter le « délai raisonnable »...

Et pourquoi donc, si ce n’est parce que DUTROUX ne connaît pas en­core bien sa leçon de prédateur isolé?

Dire que ce report laisse du bois de rallonge au procureur BOURLET, ce serait faire preuve d’un opti­misme exagéré, vu que la procureure générale THILY et la Chambre des mises en accusation épousent les vues de Mon­sieur LANGLOIS, et qu’au-dessus de la Chambre des mises, il n’y a que Dieu, qui n’a pas décidé d’être plus actif que les au­tres dans cette téné­breuse affaire.

«   Cécily


Aperçus du dossier Dutroux


Depuis 1997, l’enquête DUTROUX-NIHOUL n’a plus progressé. Des tas de pistes menant aux réseaux de por­nographie infantile ont été ou­bliées. NIHOUL est en voie d’être blanchi de son impli­ca­tion dans le trafic d’enfants enlevés par DUTROUX. Reste­ront accusés : DUTROUX, sa compagne MARTIN et son homme de main LELIEVRE.


Devant les assises, DUTROUX dira sans doute qu’il a enlevé Sabine et Lae­titia pour avoir de la compagnie, qu’il a fait de même pour Julie et Mé­lissa, qu’elles sont mortes parce qu’il a été en prison entre-temps pour une affaire de vol de voitures, et qu’il ne connaît pas An et Eefje. Il est un tordu isolé comme tant d’autres.

LELIEVRE et MARTIN vont ac­cor­der leurs violons tant bien que mal à ce noyau dur du crime qui est le seul que l’enquête de cinq ans a réussi à mettre au jour. Et pourtant...

« Ma petite entreprise... »

Y aura-t-il quelqu’un aux assises pour rappeler de ce que LELIEVRE, au début, a dit aux enquêteurs? Il a dit que DUTROUX avait bel et bien eu be­soin de lui ou de WEINSTEIN pour enlever des fillettes, qu’An et Eefje avaient été « une commande », qu’il parlait à tous ses amis de commandes et de livraisons, de centaines de mil­liers de francs ga­gnés vite et bien.

Et puis, dès octobre, LELIEVRE a été menacé et s’est tu[1]..

Des enfants ont continué et conti­nue­ront à disparaître, ou à souffrir de trou­bles mystérieux qui les ab­sentent de l’école et qui alertent de temps en temps un centre PMS ou un prof, sans suite. Des types conti­nueront à filmer et à vendre la por­nographie infantile, à subjuguer les enfants selon les mêmes méthodes que celles utilisées pour les jeunes femmes étrangères. Il y aura tou­jours les acheteurs de cassettes, ce marché plus lucratif encore que celui de la drogue, et de discrets clubs pri­vés dans le même style que les Atréba­tes, où se rencontrent les porteurs d’une pulsion rigoureuse­ment répartie parmi toutes les clas­ses sociales.

En enlevant Julie et Mélissa, An et Eefje, Sabine et Laetitia, la petite or­gani­sation de DUTROUX inaugu­rait toutefois une stratégie différente de celles des réseaux existants jus­que là, et c’était une stratégie ris­quée, peut-être mal vue des autres réseaux. Au lieu d’obtenir les en­fants par la séduc­tion d’adolescentes en rupture de fa­mille, ou en s’assurant de la compli­cité d’une famille, Dutroux et ses complices enlevèrent des fillettes sans s’enquérir de l’identité, du curricu­lum vitae ni des capacités de réac­tion de leurs parents. C’est ainsi que la nébu­leuse pédosexuelle belge eut bientôt à ses trousses des parents de victimes qui étaient totalement étrangers à ses pratiques, qui les découvrirent avec horreur et qui les firent connaître à la grande foule de gens du même mode de vie qu’eux.

Brève effervescence

D’août à octobre, l’enquête partit dans tous les sens. Le 19 septembre 96, X1 était entrée en jeu, contre son gré; elle s’était lancée dans le récit aux enquê­teurs de sa vie étrange. Elle avait re­connu NIHOUL comme un des plus dan­gereux abuseurs dans le réseau où elle avait tourné.

Via Regina LOUF comme via l’enquête sur DUTROUX, NIHOUL et leur entourage, il y avait de plus en plus de personnes impliquées dans cette cri­minalité, et des réou­vertures de dossiers restés non élu­cidés. Mais du même coup, on dé­couvrait avec un malaise croissant que, parmi les clients de ces réseaux de sadisme pédophile, les partici­pants à ses guindailles, les amis et relations de ses proxénètes, on avait des personnes très haut placées. Cela signifie un ministre par ci, un bourgmestre par là, un magistrat ou l’autre, quelques hauts responsables de la police ou de la gendarmerie, un zeste de noblesse, et même plus qu’un zeste dans les années 50, d’après la femme témoin plus âgée X3, qui a eu une enfance assez sem­blable à celle de Regina LOUF [2]...

Le même genre d’affaire avait déjà été ébruité durant les années 80; on avait parlé à l’époque de « ballets roses », pour désigner des soirées sexuelles avec des enfants de huit à quinze ans. Les locaux du journal « Pour » furent sour­noisement mis à feu dans le cadre d’une entreprise d’étouffement.

Les grandes manœuvres d’étouffement

Quant à l’étouffement de l’affaire DUTROUX, il a commencé le 16 oc­tobre 1996, jour du dessaisisse­ment du juge CONNEROTTE par l’arrêt « spaghetti » de la cour de cassation. Cet arrêt a engendré la marche blanche du 20 octobre. Si le juge CONNEROTTE a été dessaisi pour avoir participé à une soirée organisée par les parents des victi­mes pour fi­nancer leur procès, par contre on n’a pas écarté de l’enquête de Neuchateau le commissaire de la PJ de Bruxelles, MARNETTE, pour avoir été un bon client du club privé les Atrébates. Au moment où CONNEROTTE a été dessaisi, MARNETTE venait d’arriver vo­lontairement à Neuchateau en tant que grand spécialiste des affaires de mœurs, et pour cause. Les Atréba­tes sont un club privé à partouzes cité par Regina LOUF comme un des lieux de ses prestations d’enfant prostituée, et fut effectivement fermé quelques an­nées avant l’affaire DUTROUX, pour avoir impliqué des mineurs. Il faut dire qu’à l’entrée des soirées fines, le sorteur ne demande pas les cartes d’identités pour connaître les âges : cela ferait mauvais genre. Ainsi, Mon­sieur MARNETTE aimait se déver­gonder après journée, tandis que Mon­sieur CONNEROTTE pré­férait mili­ter. Le moins qu’on puisse dire est que la suspicion était aussi légitime dans un cas que dans l’autre.

Or, la suspicion déjà légitime qui plane sur le commissaire MARNETTE sera confirmée par un procès-verbal faux, visant à déclen­cher anticipative­ment ce qui serait plus tard l’affaire des fouilles de Jumet; puis, par une autre manœu­vre de déstabilisation de l’enquête : l’affaire DI RUPO. Mais vous ver­rez cela au chapitre des faus­ses pis­tes.

Regardons un peu de plus près ce faux PV initial. Dès la première semaine de son arrivée à NEUCHATEAU, le fin limier MARNETTE avait trouvé qu’une photo extraite d’une des vieil­les cassettes pédoporno trouvées chez un certain pédophile RAEMAKERS, montrait un mon­sieur qui ressemblait vaguement à DUTROUX et qui était en train de violer une fillette inconnue. RAEMAKERS était en prison de­puis belle lurette, ayant été condamné à la perpétuité pour avoir acheté et ex­ploité au moins trois fillettes à des familles du quart-monde. Monsieur MARNETTE rédigea un PV initial demandant au juge CONEROTTE qu’on audi­tionne RAEMAKERS, car, disait-il, celui-ci devait avoir connu DUTROUX et pourrait en dire plus sur ses activités.

Par hasard, l’analyse de la photo échut à un autre groupe d’enquêteurs que celui dirigé par MARNETTE, qui établirent de suite qu’elle devait dater des années 70 et qu’à l’époque, DUTROUX était encore un gamin. L’erreur de MARNETTE ne pouvait pas avoir été de bonne foi. Aussi s’attira-t-il la suspicion du juge CONNEROTTE et du procureur BOURLET.

L’étouffement s’est poursuivi par mise en doute et une « relecture » des té­moignages des X. Relecture au cours de laquelle les officiers de gendarme­rie DUTERME et DERNICOURT, qui en étaient chargés, ont largement dif­fusé dans la presse des extraits des procès-verbaux d’audition de Regina LOUF-X1, qui étaient purement et simplement falsifiés. Suite à la cir­cula­tion de ces documents falsifiés, toute la presse traita Regina LOUF de... louf. Dégoûtée, elle se retira dans sa ferme, après un cycle de conférences pour se justifier. A ce moment aussi, des copies plus conformes de ses pro­cès-ver­baux d’audition atterrirent dans les rédac­tions du Morgen et du Stan­dard et donnèrent lieu à un bien utile ouvrage de référence rectificatif : « les dos­siers X », précisément.

Enfin, les plus hauts magistrats du parquet ont décidé : « les vols de voi­tures, c’est au parquet et au juge d’instruction de Nivelles; les enlè­vements d’enfants, c’est au parquet et au juge d’instruction de Neucha­teau ».  Le problème, c’est que les enfants ont été enlevées en voi­ture, et par des gens qui sont aussi en relation les uns avec les autres via le trafic des voitures. Aha! Il fallait y penser avant de trancher. Cela s’appelle « saucissonnage » et c’est une des cinq techniques « légales » d’étouffement d’une enquête judiciaire[3]

Ce saucissonnage des dossiers a eu lieu au printemps 97 et a occasionné une manifestation de protestation de 25 000 personnes devant le palais de justice de Neuchateau.

Les grandes manœuvres de terrassement (et autres fausses pistes)

Une autre manière de nuire à une en­quête judiciaire consiste à l’orienter sur de fausses pistes.

C’est ainsi que, fin 96, du fond de sa cellule de condamné à perpétuité, no­tre RAEMAKERS, connu de Regina LOUF et appelé par elle « Monsieur Pédo », fit savoir aux enquêteurs que son camarade de cellule, l’obscur FOCANT, lui fai­sait de drôles de confidences.

Le juge d’instruction LANGLOIS, qui venait de remplacer CONNEROTTE dessaisi et avait besoin de grandes actions pour dé­mentir les rumeurs d’étouffement de l’enquête, prêta de suite attention aux confidences de FOCANT telles que les rapportaient RAEMAKERS.

C’est ainsi que le plan de MARNETTE entra en action, avec seulement quelques semaines de retard et juste au lendemain du des­saisisse­ment du juge CONNEROTTE.

Les enquêteurs obéirent à la de­mande de RAEMAKERS de ne pas s’adresser directement à FOCANT. En effet, FOCANT se confiait à son camarade « pédo », mais n’avait pas l’intention de redire ces choses aux enquêteurs. FOCANT dit à RAEMAKERS qu’il avait fait partie du groupe de DUTROUX, enlevé des enfants avec lui et que, si les enquêteurs fouillaient le charbon­nage de Jumet près de Charleroi, ils trouveraient les corps de Ken MAST, d’Elisabeth BRICHET et de quelques autres enfants disparus.

Fouiller, c’est ce qu’on fit pendant des jours et des jours, en vain.

Selon les auteurs des « Dossiers X », qui sont allés trouver l’avocate de FOCANT, RAEMAKERS a pu­rement et simplement attribué à FOCANT des confidences que ce dernier ne lui a jamais dites, et RAEMAKERS s’est probablement livré à ce jeu sous la séduction de quelques promesses de ré­compenses (DX p. 290).

Au moment d’arrêter les fouilles de Jumet, le juge d’instruction LANGLOIS, qui s’était donc laissé berner en autorisant ces fouilles gigan­tesques, fit à la presse un dis­cours comme quoi il ne fallait négli­ger au­cune piste et qu’il était normal que certaines initiatives n’aboutissent à rien. Mais la presse ajouta que toute cette enquête com­mençait à coûter cher à la col­lecti­vité et qu’il ne fallait pas trop écou­ter tous ces racontars plus ou moins délirants sur les réseaux pédo­sexuels.

Autre histoire de fausse piste. Le 21 octobre 96, au lendemain de la mar­che blanche, un certain Olivier TRUGSNACH, recherché pour avoir volé son employeur, rentra spontané­ment d’Angleterre en Bel­gique et se présenta à la gendarmerie avec des révélations sur « le rôle de personnes haut placées dans l’enquête des ré­seaux pédophiles ». Le commissaire MARNETTE, pré­senté ci-avant, dé­sira aussitôt qu’il soit entendu. TRUGSNACH fré­quente les partouzes afin d’y arron­dir ses fins de mois, et il y aurait déjà, dit-il, ren­contré Elio DI RUPO.

Lors de sa première audition, TRUGSNACH dit qu’au moment de cette rencontre, il avait dix-sept ans. Inutilisable : la majorité sexuelle est à seize ans. Alors il fut ré-audi­tionné et cette fois, il dit qu’il avait quinze ans. Aus­sitôt, le tout fut communi­qué à la presse. Le Big Brother qui nous dirige sembla compter sur une nouvelle mar­che blanche pour réclamer dans un grand soulèvement révolutionnaire la levée de l’immunité du ministre DI RUPO. Mais entre-temps, les parle­mentai­res, en vue de prendre leur dé­cision relative à l’immunité du minis­tre, découvrirent le dossier et furent assez scandalisés de la manière dont TRUGSNACH se rajeunissait d’une audition à l’autre. Dans cette affaire, le seul aspect consistant semblait la pro­messe faite à TRUGSNACH d’arranger son problème de vol s’il racontait certai­nes choses. DI RUPO fut protégé par ses pairs.

Il ne resta plus de là qu’une mau­vaise impression parmi le public. Mes chers collègues de l’administration mau­gréèrent : « C’est normal que tout va mal dans ce pays puisqu’il y a des pédés au gouvernement! » D’autres, un peu plus fins, commençaient à en avoir marre qu’on aille farfouiller dans la vie privée de chacun, et trouvaient que la marche blanche n’était, au fond, qu’un dangereux sursaut de purita­nisme vindicatif de la part des classes laborieuses et par trop moyennes.

Un cas friqué n’est jamais désespéré

Il y a de petits commerçants dont la faillite ruine la vie ainsi que celle de leurs enfants. Par contre, Michel NIHOUL en a vécu une demi-dou­zaine et ne s’en est jamais porté plus mal.

Sa devise : « tant qu’on a des rela­tions... » Mais cela n’explique rien, « avoir des relations ». Quels échan­ges économiques circulent entre ces rela­tions, là est la question.

Vers la quarantaine, après déjà une longue série de fondations de socié­tés foireuses et de faillites, le Bruxellois NIHOUL est animateur de radio, en­touré d’artistes en tout genre, et il organise des soirées, des concerts. Il par­vient à se faire prêter par Claude BARZOTTI 550 000 francs que le chanteur ne reverra jamais. Il organise les campagnes électorales de Paul VANDENBOEYNANTS et de ceux de l’aile droite du PSC, le CEPIC. Avec ses amis les avocats DELEUZE et Annie BOUTY, il monte une offi­cine juridique chargée de convaincre l’Office des Etrangers de délivrer des per­mis de séjour à des réfugiés nigé­rians, et les services du Ministère de la Jus­tice de procé­der à certaines libéra­tions condition­nelles. Pendant que DELEUZE et BOUTY s’occupent des arguments juridiques, NIHOUL pos­sède l’art d’avancer où il le faut des arguments financiers qui donnent un poids particulier aux premiers et une cer­taine clientèle aux avocats. Grâce à des types pleins de relations comme NIHOUL, un cas friqué n’est jamais désespéré. C’est pourquoi les Nigé­rians débarquent en Belgique avec le nom d’Annie BOUTY sur les lèvres et, dans leur pays, elle est considérée comme une Mama.

Plus tard, BOUTY devient la maî­tresse du docteur GUFFENS, direc­teur-général du Centre médical de l’Est, condamné en correctionnelle pour dé­tournement des fonds de ce centre. NIHOUL le convainc qu’il y a moyen d’acheter son procès en appel, peut ainsi retirer 5 millions de ses comptes... et s’en sert pour ou­vrir un café qui s’appelle le Clin d’Oeil, qu’il exploite avec Marleen DE COCKERE. GUFFENS, lui, voit sa condamnation alour­die en appel. Ne pas surestimer la lon­gueur du bras de NIHOUL!

Jusqu’ici en tout cas, rien de relatif aux réseaux.

En 1991, DELAMOTTE, vieil ami de NIHOUL et co-fondateur de toutes les sociétés de NIHOUL qui tombaient en faillite les unes après les autres, fonde la société ASCO, « achat-service-commerce », qui démonte des voitures et exporte les pièces détachées vers l’Afrique et la République domini­caine.

DELAMOTTE et NIHOUL ont aussi tous deux fréquenté les Atré­bates, ce club fermé en 83.

La société ASCO est basée à Hon­nelles, près de Mons, près de la fron­tière française. De là, au len­demain de l’arrestation de DUTROUX et de NIHOUL en août 96, la police a en­voyé à Neuchateau un vieux dossier de 1994, et les PV d’une enquête de voi­sinage réalisée après l’arrestation de DUTROUX en 1996.

Dans ces PV d’enquête, les gens du coin racontent qu’au siège d’ASCO, on voyait souvent NIHOUL, LELIEVRE, WEINSTEIN, MARTIN. Au café de la place, NIHOUL se fai­sait remarquer en payant avec des billets de 5000 F. Il était toujours en­touré d’une flo pée de jeunes femmes exotiques, qui lo­geaient dans les lo­caux d’ASCO et qui paraissaient en transit. ASCO semble avoir été ainsi un lien entre le milieu bruxellois de NIHOUL et l’entourage plus marginal ou quart-mondiste de DUTROUX.

En 94, peu avant la faillite d’ASCO, DELAMOTTE et NIHOUL se sont violemment disputés avec un voisin parce qu’ils creusaient un grand trou dans un bout de terrain qui lui ap­par­tenait, pour y enterrer quelques sacs poubelles. Finalement, ils ont creusé un autre trou sur la propriété d’ASCO et les ont enterrés là. La police de Honnelles a envoyé ce dossier à Neu­chateau au cas où on voudrait savoir ce qui a été enterré là; mais Neucha­teau n’a jamais répondu. C’est pour­quoi les PV de Honnelles ont atterri à la ré­daction du Morgen et de là dans « les dos­siers X ».

NIHOUL est-il un magouilleur pres­que sympathique, ou quelqu’un dont l’art de se relever de tous les plantages est sous-tendu par des rentrées finan­cières autrement plus scabreuses? L’état de l’enquête ne permettra pas de le savoir, mais ce qu’on sait, c’est qu’il n’y a pas eu de volonté d’enquêter.

Le sosie carolo de NIHOUL

L’enquête de Neuchateau, avortée suite au dessaisissement du juge CONEROTTE, a par ailleurs impli­qué un certain Lucien VIAL[4]. Il s’agit d’est un homme d’affaires qui a pi­gnon sur rue à Charleroi dans le com­merce des vins, et qui ressemble phy­siquement à NIHOUL.

Pendant que RAEMAKERS condamné à perpétuité croupit en pri­son, VIAL sévit en toute impu­nité à Charleroi. On l’a vu visiter des famil­les pauvres de Charleroi pour leur proposer de louer leurs enfants pour 50 000 F. Il fait des photos porno avec eux (DX p. 356). A ses heures per­dues, il enlève des adolescentes au vu et au su de tout le monde, les viole et les maltraite et les abandonne trauma­tisées quelques jours plus tard. Il est riche et s’achète des hommes de main qui l’aident dans ses enlèvements. Lors­que les parents de ses victimes ont osé porter plainte, l’instruction a ca­poté pour de bien mau­vaises rai­sons, ou alors, par impossible, VIAL n’a été condamné qu’à des peines de prison ridicules et a été libéré pres­que tout de suite. Si bien que, quand il débarque dans un café ou une boîte, une crainte respectueuse l’entoure : il a le bras long. D’ailleurs, un jeune homme, Pascal MEUNIER, pour avoir pris la dé­fense de deux adolescentes que le clan VIAL emmenait de force en plein dans un café, a été retrouvé mort une semaine plus tard. Il avait été menacé par un des complices de VIAL, tandis que ce dernier démar­rait avec les filles et ses hommes dans sa voiture. Lorsqu’on retrouva l’inconscient justi­cier mort au coin d’un porche de la ville, son corps portait des traces de coups, mais le médecin légiste conclut obstinément à un décès par overdose.

Juste avant son dessaisissement, le juge CONNEROTTE faisait sur­veiller VIAL. On apprenait ainsi qu’il allait chercher des adolescentes en Rouma­nie et qu’il pouvait se procurer pour elles des attestations de tutelle à Wal­court, commune où il habite et où il a des relations dans la police et dans l’administration communale. Ainsi la poule aux oeufs d’or est, avec le com­merce des vins, une source de sa ri­chesse.

Le juge CONNEROTTE préparait une série de perquisitions à son do­micile et dans son entreprise, ainsi que chez des hommes qui avaient enlevé des filles pour son compte en 1996. Le juge LANGLOIS, qui lui succéda, ne les autorisa pas. (DX p. 360, 356)

VIAL est sans doute en France ac­tuellement.

« Il se pourrait que les nombreux té­moignages de viols et de tentatives d’enlèvements d’enfants contre NIHOUL aient en fait tout bêtement trait à L. V. » (DX, p. 327). Dans ce cas, effectivement, NIHOUL aurait failli être victime d’une erreur judi­ciaire! Le hic, c’est qu’à Neuchateau, après le départ du juge CONNEROTTE, en quatre ans on n’a pas davantage enquêté sur VIAL que sur la société ASCO fréquentée par NIHOUL.

Un club de plus âgés

Regina LOUF affirme avoir connu de très près NIHOUL et BOUTY. Elle leur doit même la soirée la plus infer­nale de sa carrière.

BOUTY et NIHOUL, avec quelques autres, ont torturé et assassiné sous ses yeux Christine VAN HEES, en 84, à la champignonnière d’Auderghem. Regina avait une quinzaine d’années.

On a du mal à voir le magouilleur bruxellois bedonnant et l’avocate af­fairiste en tortionnaires sadiques, mais le problème pour qui veut tenir cette accusa­tion pour fantaisiste, c’est que Regina LOUF décrit plu­sieurs détails de cette champignon­nière et de ce meurtre, détails qui concordent avec ceux qui dorment dans le dossier de ce meurtre. Et comment aurait-elle pu avoir connaissance de ce dossier?

Dans ce dossier, on trouve aussi que Christine VAN HEES, quelques semai­nes avant sa mort, avait confié à une amie qu’elle était membre d’un club secret de gens plus âgés, qu’ils lui faisaient peur, mais qu’ils la fasci­naient aussi.

Sans savoir cela, Regina dit de Chris­tine qu’elle ne comprenait rien au mi­lieu dans lequel elle était tom­bée, qu’elle était là par « amour », éprou­vant un besoin d’une relation avec des plus âgés et pensant va­guement tirer parti de ces modes de vie où l’argent et l’amour sont éga­lement faciles.

Regina Louf dit que BOUTY et NIHOUL étaient au meurtre de Chris­tine VAN HEES. Comment pouvait-elle savoir qu’ils étaient effectivement amis et associés dans les années 80?

Selon Regina aussi, l’assassinat de Christine VAN HEES n’était pas la pre­mière nuit sadique qu’elle faisait avec eux, dans le rôle de victime et d’aide-tortionnaire qu’elle avait acquis au fil des années parmi les tordus fri­qués qui l’emmenaient à leurs rendez-vous dans des villas du Brabant.

Une complexité qui dé­passe l’entendement

J’ai donné ainsi quelques aperçus de ce qui se trouve dans « les dossier X ».

Ce bouquin a été rédigé suite à la grande fuite désespérée des dossiers de Neuchateau vers les médias : le Morgen et le Standaard. Cette fuite avait pour but que la démocratie di­recte s’empare de l’enquête, à défaut pour le système judiciaire de la mener correctement.

Je crois que le bouquin « les dos­siers X doit à son caractère touffu de n’avoir pas besoin de censure. Les protecteurs du trafic pédosexuel, ou de l’honneur des institutions belges, ont dû se dire : « de toute façon, personne ne le lira! » Bien estimé. Il est pour­tant écrit de la meilleure plume qu’on puisse trouver et reflète finement les psychologies et les milieux, mais, rien à faire, en 552 pages au cours des­quelles apparais­sent, disparaissent et resurgissent 350 noms, on perd quand même un peu le fil. A moins d’être champion d’échecs et membre de la Mensa... comme RAEMAKERS!

Les journalistes fourbissent déjà leur discours pour le procès d’assises. Ils diront en substance : « lors de la mar­che blanche du 20 octobre 96, la foule, égarée par les communica­tions publi­ques imprudentes des parents des victi­mes eux-même éga­rés par la douleur, a cru que nul autre juge d’instruction que CONNEROTTE ne réussirait à me­ner l’enquête à bien. Or, son suc­ces­seur LANGLOIS a travaillé avec plus d’impartialité et plus d’objectivité, si bien qu’une fois dissi­pées des fumées de fantasmes et des croyances, on s’aperçoit qu’il n’y a pas un bien grand feu dessous. Juste un prédateur isolé comme d’autres... »

L’oubli sera-t-il un jour assez géné­ralisé pour qu’ils puissent asséner ce dis­cours-là et conclure?

«   Cécily





[1] Sauf mention d’une autre source, tout ce qui suit est extrait de l’ouvrage « les dossiers X », Annemie BULTE, Dou­glas DE CONINCK et Marie-Jeanne VAN HEESWIJCK, EPO 1999. Vous retrouverez les pages de l’ouvrage aux­quelles je me réfère via les noms des personnes, grâce à l’index qui se trouve à la fin de l’ouvrage.

[2] Dossiers X p. 316; Dossiers pédophilie 187-212.

[3]Erik RYDBERG, « Nom de code Neuchateau » EPO 1999 p. 69

[4] Dossiers X p. 352 et suivantes; Jean NICOLAS et Frédéric LAVACHERY « Dossiers pédophilie » Flammarion 2001 p. 136 et suivantes.