Les prisons de l'État
L'état des prisons


Ce dialogue est issu des interventions de Chris­tophe Soulié lors du débat du 19 mai 2001 au Centre Libertaire de Bruxelles, ainsi que d'un en­tretien avec Xavier Bekaert ayant eu lieu quel­ques jours après.

Christophe a expliqué en détail l'expérience du Comité d'Action des Prisonniers (C. A. P.) qui a posé un certain nombre de questions sur la pri­son du point de vue des prisonniers, en France, dans les années 1972 à 1980 et qui a mené des actions autour de la prison et en l'élargissant à la question sociale. Xavier l'a questionné plus en détail sur son parcours personnel et la question de l'enfermement aujourd'hui.


CS : Je veux bien parler de mon par­cours personnel, mais uniquement par rapport à ce qui m'a conduit à m'inté­resser et à vouloir faire partager mon intérêt à l'histoire du comité d'action des prisonniers en particulier et à la lutte contre l'enfermement en général et par là-même à cette manière bien particulière de poser la question de la prison.

Je n'ai jamais milité au Cap mais il m'arrivait de le lire, ayant des amis qui y étaient abonnés. De même, je suivais l'actualité des luttes à l'intérieur des prisons par la lecture de Libération (le journal des années 70 n'ayant pas grand chose à voir avec l'actuel). Mais je n'étais pas impliqué dans le mou­vement. J'avais lu le livre de Serge Livrozet, de la prison à la révolte, lors de sa parution. Je l'ai relu en prison. Comme je l'ai déjà dit, j'ai découvert la prison en y étant détenu. J'étais déjà politisé avant. C'est même cette politi­sation qui m'a conduit d'une certaine manière à des actes qui m'ont amené en prison. Je suis donc arrivé dans cet univers carcéral avec ma boîte à outil militante que les matons n'ont pas pu saisir lors de la fouille puisqu'elle était dans ma tête : "Justice de classe", "ar­bitraire", "oppression", "exploitation de la main d'œuvre pénale"... Mais la prison, c'est un univers totalitaire. Je l'ai vécu toute suite comme une situa­tion où il fallait survivre, résister dans sa tête pour ne pas se faire bouffer par cette lente corrosion qui agit sur les corps de tous les prisonniers. J'ai eu des hauts et des bas, des moments d'euphorie et d'autres d'apathie. Il y a même eu des périodes où je ne savais plus ni lire ni écrire. Et d'autres où j'avais l'impression que la prison n'existait plus et où on pratiquait à quelques uns le jeu et la dérision. Mais ce qui est étrange, quand même, c'est qu'au moment de ma libération, par un

petit matin brumeux d'automne, je n'ai rien ressenti de fort. Et pourtant je l'attendais ce moment, quasiment trois ans après un contrôle routier de gen­darmerie, mettant fin à une brève ca­vale, sur une route enneigée du massif central.

Après trois ans d'absence de la vie courante, j'ai eu beaucoup de mal à retrouver mes repères. La période avait changé. C'était très déplaisant. Je me suis engagé dans le mouvement des radios libres. Dans la ville où j'ha­bitais, on a monté avec des anciens du CAP, une émission de radio contre tous les enfermements. Les postes FM étant en principe autorisés à l'intérieur des prisons, il était intéressant de s'ins­crire dans cette dynamique pour es­sayer de briser l'isolement, l'atomi­sation. Cette nouvelle expérience a duré trois ans, en ce qui me concerne. C'est là que j'ai rencontré des anciens du CAP comme Jean Lapeyrie, Ba­bette Auerbacher, Jacques Lesage de la Haye. Jean et Babette poursuivait l'expérience du CAP, d'une autre ma­nière, en portant le combat sur le ter­rain judiciaire (ce sont les juges qui remplissent les prisons) dans le cadre du CAPJ (Comité d'action prison-jus­tice) et du réseau défense libre. C'est là que j'ai pu lier mon expérience de la détention et mon expérience politique par rapport à la question de la prison trop souvent posée indivi­duellement et de manière psychologi­sante ou mo­rale. Avec le CAP ou le CAPJ, la pri­son est mise en cause politiquement. Elle est analysée en termes économiques et sociaux ce qui devient alors un for­midable outil de transformation so­ciale.

Autrement dit, je n'ai eu aucune envie d'écrire mes mémoires d'ex-taulard, du fait même qu'il existait une mémoire collective, faite de luttes, d'analyses, partant de vécus multiples se liant dans un projet collectif, bousculant la société dans son ensemble par la mise en avant de la revendication absolue de vivre dans une société sans prison. C'est cela qui m'a passionné et qui a été le véritable moteur de ma recher­che. Enfin, je tiens à préciser que le sous-titre de mon livre, contribution à l'histoire du comité d'action des pri­sonniers est très important pour moi. C'est une contribution et un point de vue. Cette histoire, comme toute his­toire, doit s'écrire à plusieurs mains, à plusieurs voix, de différents endroits, chacun ayant sa propre légitimité.

XB : On a parlé du CAP et tu as ex­pliqué ton parcours. On arrive au présent. Par exemple quelle est la place de la prison dans l'actualité française?

CS : La prison est revenue dans l'ac­tualité en France depuis un an à peu près, depuis la fin 1999. Il y a eu la publication du livre du médecin chef de la Santé, Véronique Vasseur, qui a été un électrochoc, au vu des réactions de la presse, au niveau de la descrip­tion qu'elle donnait des conditions d'enfermement à la prison de la Santé comparé aux normes d'habitat classi­que. La prison se pose toujours de ce point de vue, soit quand il y a un crime de récidiviste on s'étonne qu'elle ne soit pas étanche et qu'il y a des gens qui soient libérés, soit on met en avant les mauvaises conditions des traite­ments des détenus toujours de manière très extérieure. Soit un médecin, soit la presse s'en fait le relais mais pourtant la question très importante est : "Qui va en prison?" ne se trouve pas posée par les grands médias.

Si des chômeurs, des pauvres, des immigrés peuplent majoritairement les prisons, seraient-ce donc des classes dangereuses, des gens foncièrement mauvais, sans moralité? Les études un peu poussées montrent que les sans emplois, les étrangers subissent déjà une discrimination de l'appareil judi­ciaire par rapport au système de pro­cédure qu'on déclenche par rapport à eux. En France il y a la procédure de comparution immédiate qui est un lynchage judiciaire. On passe très rapidement devant un juge en sortant de la garde à vue et là on est sûr de prendre le maximum. Si on regarde les chiffres de qui passe en comparution immédiate, ce sont plutôt des sans emplois et des immigrés. Il y a déjà là une première discrimination.

Un autre point de discrimination c'est la justice elle-même, les mailles du filet sont beaucoup plus larges pour les délits économiques, sociaux, qui concernent plutôt les patrons, les gens qui sont dans les affaires que pour d'autres types de délits, plus vites cri­minalisés et amenant plus facilement en prison, et qui concernent des mi­lieux plus pauvres.

Les trois quarts des gens qui vont en prison après un procès appartiennent aux classes populaires. Les juges, eux sont principalement issus des milieux aisés, des classes dirigeantes. Il y a une proximité sociale qui fait qu'ils comprendront plus facilement certains types de délits que d'autres. Il y a des gens qui passent facilement à travers les mailles. Ce qui est vrai pour les paysans par exemple. Lors des mani­festations paysannes, il peut y avoir énormément de dégâts, c'est très rare qu'un paysan soit mis en taule alors que dans d'autres types de manifesta­tions, là par contre il y a du lynchage judiciaire immédiat par rapport à de la casse de voitures ou de vitrines qui peut se produire aux alentours.

On peut expliquer qu'il y une politi­que qui amène beaucoup plus certai­nes catégories sociales que d'autres der­rière les barreaux. Ce n'est pas nou­veau. C'était le cheval de bataille du CAP de dire que la prison est un outil aux mains de l'Etat contre la classe ouvrière. Aujourd'hui, on peut rempla­cer le terme classe ouvrière par préca­riat, les gens qui sont dans des boulots précaires, les sans emplois ou les sans papiers. Mais on a l'impres­sion que tout a déjà été dit, cela a un côté dé­sespérant. Cela ne bouge pas. On sait que la prison fait partie fon­damenta­lement d'un système injuste. Or qua­siment plus personne ne la re­met en cause dans son existence et non dans son simple fonctionnement.

Néanmoins, as-tu observé une évolu­tion dans le débat sur la prison dans l'actualité récente?

Dernièrement, on a parlé de la libéra­tion de Patrick Henry, un type qui avait été condamné à perpétuité pour le meurtre d'un jeune garçon qu'il avait enlevé, puis avait demandé une ran­çon. Son procès avait été un électro­choc pour la société française, avec la bataille pour la peine de mort. Le dé­bat a un peu évolué. A la télé il y a eu des interview de personnes qui s'inter­rogent sur les longues peines. Ca, c'est une question qui est intéressante. On n'en est pas encore à revendiquer de supprimer les longues peines, mais la question se pose. Tout cela peut évo­luer.

A propos du bouquin de Véronique Vasseur, on a vu plusieurs positions être prises. L'auteure parle de la prison de la Santé comme d'une prison vé­tuste ou la dignité n'est pas respectée. La maire du 14ème arrondissement où se situe cette prison a vu l'aubaine, il demande la fermeture de la prison non pas pour supprimer la prison mais pour récupérer l'espace. Il y a une bonne opération immobilière à faire. Le débats peuvent comporter plusieurs tiroirs.

Le Ministre de la Justice a dit : "On va construire des prisons supplémentai­res. " Est-ce là la réponse à la surpo­pulation pénale. Et est-ce là la ques­tion? Est-ce "plus de prisons ou trop de prisonniers?" Mais cette question-là n'est pas encore posée. On va plutôt parler d'améliorer celles qui existent. Mais on n'aborde pas le pourquoi de la surpopulation. Cependant on connaît les causes. Elles ont été analysées : Il y a plus de longues peines, de moins en moins de remises de peines, moins de libérations conditionnelles. Cela se traduit par un vieillissement de la po­pulation pénale. Il n'y a pas forcément plus de prisonniers qui arrivent en prison mais ils restent plus longtemps.

Il y a d'autres exemples de médecins ayant abordé la question de la prison de manière originale?

Un médecin, le Docteur Bonin, qui a écrit La santé incarcéré dans les an­nées 1980, parle d'une enquête qui a été faite sur les prisons du Rhône-Al­pes et parle des problèmes de santé non pas générés à partir des mauvaises conditions de détention mais par la prison elle-même. C'est déjà plus inté

inté­ressant car quand on dit que la prison doit être la privation de liberté et rien d'autre, on voit qu'il y a d'autres pro­blèmes au niveau des sens, soit qui sont complètement exacerbés soit complètement atrophiés, au niveau de la vue, l'absence de perspective, d'ho­rizon. Il y a certain bruit, dans une cellule. On essaie de les interpréter, bruits de clefs, d'invectives, de portes. Ce médecin dit que cela peut provo­quer des troubles assez graves au ni­veau des sens. Cela peut poser un pro­blème au niveau de ce qu'ils appellent la "réinsertion".

Que peut-on dire sur la pauvreté en prison?

Une étude d'Anne-Marie Marchetti, sociologue, qui a travaillé sur la pau­vreté en prison, établit que la prison est constituée principalement par ce que l'on peut appeler le sous-proléta­riat et que les gens entrent pauvres en prison et en sortent encore plus pau­vres.

Ce que j'ai vu quand j'y ai été, c'est que l'immense majorité des prison­niers n'ont pas de tunes mais c'est vrai qu'il peut y avoir quelques uns qui sont à l'aise au niveau de la cantine ou de l'achat des produits. L'arbre qui cache la forêt. La télé est accessible mais elle est payante. Il y a un chô­mage énorme et le travail pénal est très mal payé. Ceux qui travaillent n'ont pas beau­coup de droits. Les gens sont déjà pauvres, ont du mal à sub­sister, leur famille à l'extérieur a du mal à joindre les deux bouts. S'ils sont dans des prisons un peu éloignées du domicile, cela pose un problème pour les visites, le parloir. Tout cela fait que les gens s'appauvrissent.

Et les droits du travail en prison?

Le droit du travail ne rentre pas en prison. Il y a eu une manif au 1er mai autour des revendications sur le tra­vail des détenus. À Paris un collectif s'est monté pour que le droit du travail s'applique en prison. Le droit de grève n'est pas reconnu. Les licenciements sont expéditifs. On peut être viré du jour au lendemain. Sans indemnités.

J'appartiens à un mouvement de lutte contre le chômage et la précarité qui s'appelle "Agir ensemble contre le chômage"(A. C.). Le droit aux mi­nima sociaux en prison fait partie de nos revendications. Les prisonniers sont interdits de RMI (l'équivalent en Bel­gique du minimex). Ils ne touchent pas non plus les ASSEDIC même s'ils ont travaillé avant leur incarcération puis­qu'on ne peut les toucher que si l'on fait des recherches "actives" d'em­ploi. La seule allocation qui ren­tre en pri­son, c'est l'allocation adulte han­dicapé mais alors le système péni­ten­cier en prélève 80 % du montant pour les frais d'entretien (soit 20 % de 3. 000 FF par mois). Or, par exemple, les gens at­teints du sida ont besoin de fric pour acheter les médicaments, avoir une nourriture correcte. L'asso­ciation ACT UP fait des actions sur ce terrain.

L'allocation d'insertion à la sortie de prison n'est pas énorme, 1. 600 FF. L'allocation "parent isolé" devrait rentrer en prison et concernerait pas mal de femmes qui ont des enfants. Aujourd'hui ce n'est pas le cas et l'en­fant est placé ailleurs.

Dans tes discussions, tu insistes sou­vent sur le fait que dans le débat ac­tuel sur la prison il y a un grand ab­sent. Lequel?

Le grand absent, c'est la parole du prisonnier. Il n'y a pas de mouvement de l'intérieur des taules qui pose la question du point de vue des prison­niers eux-mêmes.

On a des sociologues et des chercheurs qui étudient ce problème. Il y a égale­ment des matons qui s'expriment de leur point de vue. Les syndicats de matons sont très présents sur ce ter­rain. Ils ne sont pas forcément unis ni homogènes. Il y a aussi l'OIP (Obser­vatoire international des prisons). Ce sont des gens qui collectent des infos et qui les distribuent. Il y a différentes personnes qui s'expriment mais il y a un grand absent qui était présent dans les années 70 et une partie des années 80 : ce serait l'équivalent du CAP dans les années 70 et d'autres mouvements, pour les années 80. Ils ont porté la parole des prisonniers en lutte mais ils n'existent plus.

Mais cela pourrait revenir. En France il y a près de 3. 000 sans papiers en taule. Il peut y avoir ceux qui les sou­tiennent qui arrivent en prison aussi. Il existe des mouvements de chômeurs qui commencent à s'emparer de cette problématique. Un autre mouvement qui travaille aussi sur la prison à partir de son vécu, c'est le MIB (Mouvement Immigration Banlieue) qui essaie de faire la lumière sur les "suicides" en détention.

Seulement le système a fait beaucoup de progrès pour empêcher la contesta­tion d'émerger. Il y a une gestion de la population pénale qui s'est adaptée aux révoltes des années 70. Il y a un sys­tème de bâtons et de carottes qui fonc­tionne bien, un système qui indi­vidua­lise pour mieux atomiser.

Quel est le rôle avoué de la prison? Et le remplit-elle?

La prison prétend remettre les gens dans un certain système, à la fois punir et amender, donc transformer la per­sonne. De ce point de vue là on peut dire que c'est un échec. Ce sont les révolutionnaires français qui ont mis en place la prison autour de l'idée d'amender la personne. C'était une rupture avec le supplice, l'arbitraire. Il fallait remettre la personne dans le droit chemin. Ils se sont tout de suite aperçu que c'était l'échec, comme le fait remarquer Michel Foucault. Ils ont analysé cela tout de suite. Ils n'ont pas créé la prison pour arriver à un échec mais ils ont utilisé cet échec de ma­nière stratégique. Cela les intéressait que ce système existe pour trier les "bons pauvres" et les "mauvais pau­vres". Les récidivistes, c'était des gens que l'on pouvait relativement contrô­ler. Foucault disait que cela avait été intéressant pour le pouvoir de créer une délinquance professionnelle, de pouvoir avoir un milieu identifiable, qu'ils pouvaient contrôler, mettre des indics. C'était un des effets intéres­sants de la prison, du point de vue du pouvoir, de l'ordre établi.

Actuellement, il y a aussi un modèle américain qui peut s'infiltrer en Eu­rope sur la manière de gérer le chô­mage. Le système américain depuis les années 80 criminalise davantage les pauvres. Le but du jeu étant de mettre les gens au travail, dans les conditions actuelles du marché du travail, c'est-à-dire du meilleur profit possible : la flexibilité, la précarité. De l'État pro­vidence qui correspond au modèle fordiste, on est revenu à l'État péni­tence. Le sociolo­gue Loïc Wacquand montre que s'il y avait le même taux de chômage aux États Unis qu'en Eu­rope actuellement, il y aurait aussi le même taux de pri­sonniers. Le chô­mage est très faible aux USA mais les prisons sont pleines. La prison est bien là bas un outil de gestion du chômage et de la précarité.

La prison dans ce qu'elle prétend être est un échec. Par contre si elle sert à autre chose, par exemple, à gérer des populations, d'une certaine manière, d'un certain point de vue, alors elle réussit. Elle est un des instruments du maintien d'un certain ordre. Mais à ce moment là il faut le dire et en débattre.

En parlant des USA, qu'en est-il de la privatisation de la prison?

La privatisation des prisons et les multinationales carcérales qui se sont constituées donnent une assise écono­mique très forte à ce système. On fait du profit maintenant avec les prisons. On voit que les prisons peuvent deve­nir rentables au niveau du travail car­céral. On a une forme d'esclavage qui se met en place. Aux Etats-Unis il y a un complexe carcéro-industriel (c'est le terme qu'ils emploient). En France avec ce que l'on appelle "les treize mille" (c'est à dire l'arrivée du privé dans les prisons depuis les années 90), on a cela également avec des sociétés comme SODEXO qui gèrent les pri­sons, donc ils ne font pas la surveil­lance mais ils font tout ce qui est tra­vail pénal, "hôtellerie", restauration, vente des produits en cantine. C'est une manière de renforcer le système.

Pascal Marchand faisait remarquer que l'industrie pénitentiaire est le troisième employeur aux Etats Unis.

La prison est un terrain très sensible actuellement par rapport à ce qui se joue au niveau des nouveaux rapports

de production basé sur cette précarisa­tion très importante. On sent peser cette criminalisation des pauvres. Il y a aussi cette idée de remettre les gens au travail forcé ce que l'on appelle le "workfare". On le sent avec la nou­velle convention chômage qui va ren­trer en vigueur en France le 1er juillet et appuyé par une idéologie républi­caine très forte centrée autour du réta­blissement des autorités traditionnelles en piste : l'instituteur, l'adjudant, tous les modèles qui se sont un peu effon­drés et qu'il serait temps de restaurer pour redonner un sens au "vivre en­semble". Il y a eu un manifeste de ces républicains qui sont actuellement les apôtres de cette "tolérance zéro", ce que moi j'appellerais l'intolérance maximum. La tolérance zéro a été théorisée par la police new-yorkaise pour en finir avec la criminalité. Selon eux le premier acte de délinquance commence avec des jeunes qui discu­tent ensemble en bas d'un immeuble. Après cela il y a la vitre cassée. Si on ne réagit pas tout de suite on va vers la grande criminalité. Pour eux il y a continuité, ce qui n'est pas du tout établi. On retrouve ça dans ce courant républicain souverainiste autour de Chevènement, Pasqua et compagnie, ainsi que des intellectuels autour de la revue "Esprit", revue qui, curieuse­ment, soutenait dans les années 70 les mouvements des prisonniers, et qui maintenant se trouve dans cette offen­sive républicaine pour la tolérance zéro, au nom d'une violence qui gan­grènerait toute la société. Il y a aussi des sociologues patentés qui travail­lent directement avec les flics dans un organisme qui s'appelle en France "L'institut des hautes études de sécu­rité intérieure". Lisez les publications des cahiers de la sécurité intérieure, c'est pas triste. Ils théorisent vraiment la guerre de classes.

Est-ce qu'il n'y a pas un double em­ploi des classes dangereuses, comme matons et comme prisonniers? Elles se contrôleraient elles-mêmes.

Je pense que les matons avant étaient issus du même milieu que les détenus, le CAP a été un mouvement de pri­sonniers qui a essayé de se rapprocher de certains matons en disant "on est du même milieu, on des victimes du même système". Actuellement le milieu des matons a beaucoup évolué avec l'effet du chômage. Il peut y avoir des gens qui peuvent avoir des licences de droit. Il y a un syndicat CGT Maton qui a évolué beaucoup. Ils étaient hy­per sécuritaires dans les années 70 à tel point qu'ils ont été dissous par la confédération pour leurs positions droitières : ils étaient pour la peine de mort, pour l'isolement. Ils soutenaient Giscard en 81. Il s'est reconstruit dans les années 83 avec d'autres gens. Eux ils font une analyse de classes. Mais ils ne sont pas très représentatifs du milieu.

Que penses-tu de l'abolition de la prison?

Je revendique l'abolition de l'enfer­mement, cela veut dire une autre ma­nière de voir les rapports sociaux.

Les étrangers détenus pour infraction à la législation sur le séjour, à qui ont-ils fait du mal? À personne. La loi les envoie en prison sur une simple ap­partenance à une catégorie qui est criminalisée de fait. Je prône la liberté de circuler, donc je ne peux pas me retrouver dans les lois sur le séjour des étrangers. Même d'un point de vue "classique", ils n'ont rien à faire en taule.

Si on modifie la législation sur les stupéfiants, on peut libérer de suite tous ceux qui sont en taule pour la dope. La prison ne sert en tous cas strictement à rien pour eux.

Au niveau de la violence, la famille est le lieu le plus dangereux. Les crimes les plus graves sont commis en fa­mille. Le problème est peut-être au niveau de la famille. Que ce soient les problèmes d'incestes, de violence, meurtres, coups et blessure, cela se passe beaucoup en famille. Il faut se pencher là-dessus, il y a là sans doute des problèmes, mais je ne pense pas que la prison y réponde non plus. Ce qui est certain, c'est que la famille est un espace hautement criminogène.

Une société non fondée sur la défense de la propriété, sur le culte de la com­pétition, sur l'accumulation produirait certainement d'autres rapports sociaux. C'est là que se trouve peut-être bien la clé qui ouvrira toutes les prisons.

Remerciements à Yves pour avoir organisé la conférence et à Boubou pour avoir pris le temps de retrans­crire l'enregistrement audio.

Christophe Soulié est l'auteur de Liberté sur paroles, contribution à l’histoire du Comité d’Action des prisonniers, Analis, Bordeaux, 1995.