Du coté de la gauche israélienne


Interview de Michel Warschawski, du centre d'in­formation alternative


"Aujourd'hui, jeudi 4 avril, je viens d'apprendre que l'armée israélienne est entrée dans la basilique de la Nativité à Bethléem, geste tabou. Qui dit que demain ils ne seront pas prêts à monter un attentat contre la mosquée d'al-Aqsa et à se mettre à dos un milliard de musulmans? Et ça, ça ne serait jamais pardonné. Ce n'est pas une journée d'espoir. Je suis, je ne veux pas dire désespéré, mais extrêmement angoissé de ce qui va se passer dans les jours à venir.

Le bureau de Bethléem du Centre d'information alternative, que je pré­side, a été saccagé avant-hier par l'ar­mée. Tsahal saccage tout sur son pas­sage, écrabouille les voitures, renverse les poteaux électriques, et dans le bâ­timents qu'elle veut investir, elle place des explosifs sans même frapper à la porte. Les exécutions sommaires de Palestiniens par l'armée sont confir­mées de part et d'autre, y compris par des sources fiables, mais il est impos­sible d'avoir un chiffre exact. Des per­sonnes ont été tuées à bout portant, d'une balle dans la tempe. L'un des collègues de notre centre de Bethléem m'a raconté avoir ainsi vu le corps du chef d'orchestre de la police palesti­nienne. Pas le genre à se promener avec un bazooka. J'ai aussi parlé avec le directeur de l'hôpital de Bethléem, qui m'a dit que jamais son hôpital n'a été aussi calme, parce que les ambu­lances ne peuvent pas y parvenir. Comme il a de l'humour, quand je lui ai demandé "Alors, qu'est-ce que vous faites?", il m'a répondu "On joue aux cartes."

Depuis un an et demi, il y a un recul dramatique de l'opinion publique israélienne en terme de mobilisation. Mais l'horreur de ce que les gens ont vu et entendu est en train de recréer un sentiment d'urgence. Il y a des ras­semblements permanents devant le bureau du Premier ministre, des mani­festations devant le ministère de la Défense quasi tous les jours... Il faut sortir de la routine de la protestation habituelle. De même que l'armée a rappelé ses réservistes, il faut que nous rappelions les nôtres, ceux qui sont d'accord mais qui sont fatigués, ceux qui disent "Je viendrai la prochaine fois"... Il y a un nombre significatif d'Israéliens qui savent que, s'ils ne réagissent pas, s'ils ne manifestent pas leur colère, leur rejet de cette politi­que, ils deviennent complice.

Or, des crimes de guerre sont commis quotidiennement. Même le procureur de l'armée, responsable du départe­ment juridique de l'armée, a envoyé, il y a à peu près un mois, avant la der­nière offensive, un rapport au chef du secteur opérationnel en le mettant en garde contre les dangers collatéraux résultant d'un usage disproportionné des moyens et de l'objectif. C'est pourtant une des règles des conven­tions internationales qui régissent la guerre. Ce qui est surprenant, c'est qu'on en parle plus en Israël que dans les médias internationaux. Le mouve­ment des soldats a beaucoup fait pour cela. Des tracts ont été distribués aux soldats et réservistes leur disant: "At­tention! Attention! Tel et tel acte sont des crimes de guerre, selon la conven­tion de Genève. Tu as non seulement le droit mais le devoir, d'après la loi israélienne, de dire non."

Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'Israël est une machine folle, avec des conducteurs ivres qui brûlent tous les feux rouges, en fonçant droit dans le gouffre. La meilleure biographie d'Ariel Sharon s'appelle d'ailleurs "Il ne s'arrête pas aux feux rouges". C'est exactement ce que nous sommes en train de vivre. Si on ne met pas un mur devant lui, on n'arrivera pas à l'arrêter. C'est nous, les Israéliens, qui sommes avec lui dans l'autobus, qui devons le stopper. Ainsi que la communauté internationale. Les militants pacifistes ne prétendent pas remplacer ce que devraient faire les États, l'ONU, l'Eu­rope. Ces missions ne s'appellent pas "missions de protection du peuple palestinien", mais de façon, à mon avis très pertinentes, "missions civiles pour la protection du peuple palestinien".

Ce qui motive ceux qui viennent à Ramallah, Bethléem ou Naplouse re­joint les motivations des brigades in­ternationales pendant la guerre d'Es­pagne, mais il y a une différence fon­damentale: les brigadistes étaient ve­nus se battre, armes à la main. Les missions civiles viennent protester, témoigner, parfois s'interposer. Les Palestiniens n'ont pas demandé de soutien militaire. Ils demandent une protection.

Il y a une semaine, je n'aurais pas imaginé, non pas que Sharon soit ca­pable de faire ce qu'il fait, ni que Shi­mon Peres soit assez lâche pour le laisser faire, mais que la communauté internationale laisse les choses parve­nir là où elles en sont.

Les États-Unis ont encouragé Sharon, cela s'inscrit dans leur croisade contre le Mal. La réalité américaine est bor­née, rétrograde. Ils se voient comme la force du bien, et le tiers-monde - et surtout le monde islamique - comme un monde de sauvages, qu'il faut dans le meilleur des cas mater, et dans le pire réprimer. Georges Bush est un cow-boy. Il est dans un western, pro­fondément. Ce n'est pas une tactique, c'est une philosophie, une façon d'être.

La semaine prochaine, je repars en Israël. Je vais prendre la mesure des dégâts. Prendre des nouvelles. Je vais consacrer beaucoup d'efforts au mou­vement des soldats réfractaires qui refusent de servir dans les territoires occupés, mouvement dont j'ai été l'un des initiateurs pendant la guerre du Liban. Je ne suis plus réserviste, j'ai passé l'âge, mais le directeur du centre à Jérusalem est actuellement en prison, car lui-même réserviste réfractaire. Il y a beaucoup à faire. C'est très impor­tant. Tout au long des dix-huit derniers mois, des soldats se sont retrouvés en taule pour refus d'obéir. Il y a eu un déclic il y a trois mois, un saut quali­tatif créé par la violence de la répres­sion. De nouveaux soldats nous rejoi­gnent, qui n'avaient pas signé la péti­tion un an plus tôt. Confrontés à la réalité, y compris de ce qu'eux-mêmes ont été amenés à faire, ils disent maintenant que trop, c'est trop."

Propos recueillis par Jade Lindgaard, parus dans Les Inrockuptibles, 10/4/2002.

Président du centre d'information alternative de Jérusalem, militant pacifiste et vieux compagnon de route de la lutte pour la création d'un État palestinien, Michel Warschawski vient de publier "Sur la frontière" (Stock).

«                 Alternative Information Center: www.alternativenews.org

«                 Pétition des soldats qui refusent de servir: www.seruv.org.il

Soutenir les objecteurs et réfractaires en Israël


Plus de deux cents officiers de réserve ont refusé publi­quement de servir dans les territoires occupés. Plus de deux mille personnes ont signé leur pétition de soutien. Ces ac­tes d'objection de conscience et les manifestations contre l'occupation marquent une volonté de paix immédiate de la part d'une partie de plus en plus importante de la popula­tion.

Heggai Teger, objecteur, a été incarcéré près de Haïfa. Amit Gal, l'un des signataires de la lettre des officiers, a été condamné à vingt-huit jours de prison, le 25 février, pour avoir refusé d'intervenir militairement dans la bande de Gaza. Igal Rosenberg, déjà condamné à vingt et un jours de prison, a connu, le 26 février, une seconde condamnation à vingt-huit jours de prison. Sharon Shmila, officier de ré­serve alors en service, a été condamné à vingt-huit jours de prison pour refus d'aller dans les territoires occupés. David Hlam Herson a lui aussi été condamné à vingt-huit jours de prison pour refus de servir en Cisjordanie. Il entend ne pas prendre part à la campagne de répression contre le peuple palestinien.

En Europe

A Bruxelles, l'Internationale des résistants à la guerre or­ganise un séminaire sur les buts et stratégies pour l'objec­tion de conscience, du 8 au 14 mai 2002, suivi d'une mani­festation le 15 mai, journée internationale de l'objection. Ce séminaire international aura pour thème la situation de l'objection dans les Balkans, en Grèce et en Turquie, pays comportant des similitudes dans ce domaine. Il s'agit de développer des stratégies permettant de débloquer la situa­tion des mouvements de réfractaires dans ces pays. Des militants des sections de l'IRG et des groupes d'objecteurs européens animeront ce travail, auquel tous les membres de l'UPF sont conviés.

«                 Info

Forum voor Vrede Aktie, 35 rue Van Elewijck, 1050 Bruxelles, 640.19.98.

«                 Source

Journal de l'Union pacifiste, section française de l'Interna­tionale des résistants à la guerre, avril 2002

 


Protestations des femmes

Chaque vendredi à 13 heures, Square de France à Jéru­salem, les Femmes en noir protestent contre l'occupa­tion par l'armée israélienne des territoires palestiniens. Cette association, créée en 1987 par des citoyennes d'Israël, Juives ou Arabes palestiniennes, demande face à la gravité de la situation la mobilisation des fem­mes d'Europe contre la guerre.