PUTAIN, PUTAIN, C'EST VACHEMENT BIEN

DE NE PAS ETRE AMERICAIN !

 


 

Au lendemain du 11 septembre 2001, porté par la solidarité avec les victimes des Twin Towers, Jean-Marie Colombani, directeur du "Monde", avait titré son éditorial : "Nous sommes tous des américains!". Un an plus tard, dans un numéro commémoratif, s’il constate "L’impasse américaineé du gouvernement Bush, il confirme néanmoins son analyse : "nous resterons des américains, tant nos sorts sont liés"(1).

Non, monsieur Colombani. Je ne suis pas, je n’ai jamais été, et, je l’espère, je ne serai jamais américain. Ni vous ni moi ne parlons bien sûr ici de "nationalité". Vous êtes Français, et je pourrais être Guatémaltèque. C’est-à-dire Belge. Nous parlons d’une adhésion symbolique au même modèle social, au même système de valeurs. Eh! bien, précisément, c’est cela que je conteste.

 

Bien sûr, les États-Unis et l’Europe partagent quelques grands principes et resteront sans doute des partenaires historiques privilégiés. Mais ils sont aussi, je crois, structurellement porteurs de deux modèles de développement concurrents (pour ne pas dire : de deux modèles de civilisation opposés). En ce sens, l’enjeu du siècle à venir sera précisément, pour les Européens et pour beaucoup d’autres, de ne pas devenir Américains !

 

Rambo IV ou le Cuirassé Potemkine ? Pendant toute la seconde moitié du vingtième siècle, et plus précisément depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde s’était partagé entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, entre "le capitalisme" et "le communisme". Comme les deux pôles d’un aimant dans la limailles de fer, Washington et Moscou orientaient la vie des nations et celle des individus : qu’on plante de la canne à sucre dans les Caraïbes ou qu’on tourne un film scientifique en Autriche, on était sommé de choisir son camp. Hollywood ou Eisenstein, "Cuba Libre" ou Coca-Cola. L’effondrement du Mur de Berlin a brutalement marqué la victoire "par défaut" du capitalisme. On s’attendait à un interminable match de boxe planétaire entre l’Occident et l’URSS, et voilà que cette dernière, remerciée par son propre peuple, est brutalement morte d’une crise cardiaque. Il a fallu en vitesse réécrire tous les livres d’Histoire. La Russie rebaptisée frappe aujourd’hui à la porte de l’OTAN et l’ancienne "Europe de l’Est" s’est résolument tournée vers l’Occident. Car l’Europe, elle, a poursuivi son processus d’intégration politique et économique - spectaculairement couronné le Premier Janvier 2002 par l’adoption d’une monnaie commune.

Résumé des épisodes précédents. Au seuil du XXIème siècle et à l’échelle du monde, la situation est donc la suivante. En pôle position, les USA, Imperator Number One, Nouvelle Rome aux pectoraux bodybuldés et à l’empire planétaire. Dans sa roue, la "vieille" Europe, dopée à l’euro, qui rêve de convertir sa jeunesse coloniale en humanisme universel (en vendant quand même quelques hélicoptères de combat au passage). Un peu partout, disséminé sur trois continents, un archipel "arabo-musulman", instable et balkanisé, musclé aux pétrodollars mais plombé par ses fondamentalistes et ses potentats. Et, ici et là, quelques fortes puissances régionales : la Chine et le Japon, qui se regardent en chiens de faïence, la Russie encore, l’Inde bien sûr, et l’Amérique latine qui se cherche... (Foutez-moi la paix avec l’Australie, merci!).

Venons-en au fait ! USA/Europe : deux modèles de civilisations opposés, disais-je. Voici, en huit points, quelques clivages essentiels. Ils balaient tout le champ social, de l’économie à la santé, en passant par la diplomatie et la religion.
1. "Services publics" ou "milices privées" ? État "providence" contre État "croupion" (en béton armé, quand même, le croupion!). La notion de "services publics" (droit à l’enseignement, à la santé, à la sécurité, aux transports, à la culture, à la liberté d’expression, à la communication, à la Justice, à un logement, à une pension...) est profondément inscrite dans la tradition et le droit européen. Financée par l’impôt public, elle s’oppose frontalement à la notion de "mise en marché" de toute la vie sociale aux USA, financés par les seules assurances et cotisations privées. Cette privatisation touche même l’espace public : la classe moyenne blanche a par exemple créé de toutes pièces des villes fermées par des barrières et gardées par des milices privées où les "WASP’s" (2) vivent "entr’eux".

2. "Prison à vie" ou "allocations de chômage" ? Il y a deux fois moins de chômeurs aux USA qu’en Europe (et infiniment moins de droits sociaux!) mais il y a dix fois plus de prisonniers en tôle ...et de violence dans les rues. Transformer les pauvres et les chômeurs en gangsters et en prisonniers de droit commun, c’est peut-être effectivement un choix de société.
3. "Démocratie ouverte" ou "lobbying et pompom-girls" ? Il y a certes des différences entre un Clinton et un Bush (sur les crédits sociaux, le Moyen-orient ou l’usage des cigares) mais Démocrates et Républicains partagent en gros le même programme et se repassent les clés du pouvoir politique. Un militant de parti, aux USA, a plutôt le profil d’un supporter de football : il ne discute pas des motions, il agite des plumes au Congrès. L’acte militant lui-même semble avoir été privatisé : les "lobbyistes" s’en chargent contre rémunération. En Europe, si ce n’est pas la démocratie participative à laquelle nous aspirons, le champ politique est plus ouvert : il autorise encore de véritables débats publics et permet l’émergence de forces politiques "nouvelles" (comme les Verts européens ...et les Fachos aussi, hélas!).

4. "Communautarisme" ou "intégration" ? S’ils sont sortis de l’apartheid après la bataille pour les droits civiques, les USA continuent à opter pour un traitement "communautaire" de l’immigra-tion. Les Blacks, les Portoricains, les Chinois, ... et les WASP’s vivent entr’eux, dans leurs quartiers, avec leurs propres journaux et leurs télés. Les européens, eux, privilégient plutôt une politique d’intégration qui passe par l’éducation et l’apprentissage à la citoyenneté.

5. "Droit international" ou "Mon B52 dans la gueule!". Alors que les Européens s’efforcent de mettre en place des textes et des institutions (Tribunal Pénal International, Droits de l’Homme et de l’Enfance, ONU...) qui soumettraient tous les peuples du monde aux mêmes lois et juridictions, les USA cherchent systématiquement à s’y soustraire et à imposer leur point de vue par la seule force des armes. On le voit encore avec l’Irak.

6. "Développement durable" ou "Après moi les mouches!". Alors que pratiquement tous les pays de la planète signaient les accords de Kyoto, les USA, confits dans leur autisme productiviste, revendiquent toujours le droit de polluer la Terre à fond les cheminées ... et de se moucher dans les rideaux de l’ONU en prime.
7. "Ouverture au monde" ou "colonialisme culturel" ? Si les USA exportent massivement leurs séries télés, leurs films et leurs produits culturels dans le monde entier, l’inverse est pratiquement impensable. On peut voir en Europe des films espagnols, italiens, yougoslaves, allemands, russes, italiens, égyptiens... qui restent totalement inconnus aux USA. Cet autisme culturel a des répercussions idéologiques : les deux tiers des députés américains n’ont par exemple jamais mis un pied en dehors de leur pays, ce qui renforce leur difficulté à comprendre le reste du monde.

8. "God bless Amerika" ou "Liberté Egalité Fraternité" (bigotisme ou laïcité) ? La France n’est pas l’Europe, et le Vatican n’a pas renoncé à faire de l’Europe une terre chrétienne. Mais la séparation de l’église et de l’État est progressivement devenue chez nous une réalité. Les fonctionnaires ne jurent pas fidélité à la Nation la main sur la Bible et on n’enseigne pas dans les écoles, comme dans un État des USA, que le monde a été créé en sept jours par dieu...

Putain, putain, c’est vachement bien... Comme toute classification, la mienne est un peu arbitraire ; elle témoigne cependant je crois de réelles et profondes différences. Je sais aussi que le modèle américain a chez nous ses partisans : Madame Tatcher en étais un bon exemple. Je n’idéalise pas non plus l’Europe : je n’oublie pas qu’elle a été le berceau des deux idéologies les plus totalitaires du XXème siècle et le creuset des deux premières guerres mondiales. Mais parce qu’elle a précisément vécu cette histoire douloureuse dans sa chair, peut-être a-t-elle su inventer quelques antidotes à la dictature, à la misère et à la guerre. "Être européen" ne comble ni mes sentiments universalistes, ni mes convictions écolo-libertaires. Mais voilà en tous cas pourquoi "je ne suis pas américain" !

éClaude Semal

in "Imagine" novembre 2002 

 

(1) "Le Monde" du 12 septembre 2002, édition spéciale.

(2) White Anglo-Saxon Protestant

REQUIEM POUR LES MORTS D’ESPAGNE

 

Les vastes constellations géométriques d’hiver se lèvent au-dessus de la Sierra Nevada.
Je marche sous les étoiles, les pieds sur la courbure connue de la terre. Je suis des yeux les clignotants d’un avion, rouges et verts, qui s’enfonce grondant vers les Hyades.  La note des moteurs monte, aiguë, faible, inaudible enfin, puis les lumières se perdent dans la brume au sud-est, aux pieds d’Orion.

Comme le bruit s’éloigne, le froid me saisit et la pensée qui s’empare de moi me soulève le coeur. Je vois l’Espagne
Sous le ciel noir battu de vent, la neige qui tournoie légèrement, scintille et se déplace au-dessus des terres blafardes, et des hommes qui attendent, transis, blottis les uns contre les autres, un avion inconnu passant au-dessus de leurs têtes.  L’appareil dans la brume survole les lignes ennemies vers le sud-est,
des étincelles sous sa carlingue près de l’horizon.
Quand elles s’effacent la terre frissonne
et le ronronnement faiblit. Les hommes se détendent un instant et redeviennent nerveux dès qu’ils se reprennent à penser.

Je vois les livres avortés, les expériences abandonnées, les tableaux arrêtés, les vies interrompues, que l’on descend dans les fosses recouvertes du drapeau rouge.
Je vois les cerveaux gris, vifs, brisés et maculés de sang, que l’on descend chacun dans son obscurité, inutiles sous la terre.
Seul sur une colline de San Francisco, un cauchemar tout à coup m’envahit et des cadavres, surgis de l’autre côté du monde, se pressent contre moi.

Alors, doux au début, riche et puissant ensuite, j’entends le chant d’une jeune femme.
Les émigrants du coin de la rue veillent
Le corps de leur fils aîné, renversé par un camion sans chauffeur  qui a dévalé la côte et l’a tué sur le coup. Les voix l’une après l’autre se joignent au chant.
Orion traverse le méridien vers l’ouest,
Rigel, Bellatrix, Bételgeuse, défilent en ordre, la grande nébuleuse miroite dans ses reins.                                 

éRexroth

 

SANGATTE

 

On ferme Sangatte. Officiellement on n'expulse pas les demandeurs d'asile pas plus qu'on ne s'oppose à la sollicitation du droit d'asile par de nouveaux candidat(e)s. Non, on se contente de leur interdire de s'abriter quelque part. Où que ce soit. Autrement dit, on les condamne à l'errance en espérant sans doute que cette errance sera discrète en ce sens que, dilués dans la foule urbaine, ils-elles seront moins visibles et se confondront avec le décor urbain qui, déjà, a intégré sans problème, comme des sortes de mobilier urbain, celles et ceux qui dorment sur le trottoir, sous les ponts, sur une bouche de métro...

 

La France dans sa grande générosité humaniste et humanitaire a libéré Papon au motif que la vieillesse - ou, du moins, sa vieillesse - est une maladie incurable au pronostic irréversible incompatible avec la détention carcérale. Il doit sûrement s'ennuyer : pourquoi ne pas le rappeler - un Préfet n'étant jamais à la retraite - et lui demander d'organiser une chasse aux clandestins à l'échelon nationale. On pourrait ainsi, en leur accolant une quelconque étoile infâmante, en faire des cibles pour les chasseurs qui pourraient les tirer comme des lapins à longueur d'année, distrayant leur fureur panpanesque d'espèces animales protégées !

 

éJC