MOULIN-À-CAFÉ

 

C'est ainsi qu'au Palais on désigne couramment la Correctionnelle : la juridiction qui broie, qui "mou" en un clin d'oeil, sans s'arrêter, d'un mouvement continu et monotone, l'honneur, l'avenir des pauvres gens.


Qui sort de là - sauf acquittement bien rare - en sort taré, portant, non plus à l'épaule mais sur son casier judiciaire, la marque des suspects. Légère parfois,  négligeable souvent, aux yeux des philosophes, elle est écrasante par rapport aux réguliers. En province, dans les campagnes, l'homme "qui a une condamnation" est traité en paria, doit crever de faim ; ou subir la plus honteuse des exploitations. Je sais des fermiers qui, sous mine de philanthropie, n'emploient que des repris de justice : ils coûtent moins cher !


Le citoyen irréprochable qui, poussé par le besoin, pour nourrir sa famille, frapperait à ces portes, offrirait ses bras, serait impitoyablement re-poussé. Car, même bien misérable, il aurait droit au salaire ordinaire, pourrait discuter la réduction ou ne l'admettre que passagèrement, susceptible d'être employé ailleurs. Tandis que les autres ! Ils sont bien forcés d'accepter ce qu'on veut, comme on veut ; en quarantaine, dans leur déchéance, taillables et corvéables à merci, puisqu'ils ont le choix seulement entre la soumission et la mort.


Ou bien ils cachent leurs antécédents, parviennent à se faire embaucher. Et, dénoncés par quelque confident, reconnu par quelque voisin de prison ou d'audience,  ayant eu la langue trop longue, un soir de dimanche, au cabaret, ils sont chassés sur l'heure, impitoyablement. Le maître décroche son arme, si le serviteur de la veille fait mine de rentrer dans la maison ; la maîtresse, comme une poule effarée, rallie les petits autour d'elle ; la servante, en jetant le bagage dehors, dans la poussière, y allonge un coup de pied sournois.


Il n'est guère que le chien, qui file par la tangente, et s'en vienne, plus loin, faire une caresse à celui qui ne le battit jamais, lui donna, parfois, une bouchée de son pain. Mais c'est une bête...


 

Et va, chemineau, reprends ta besace, reprends ta course, parmi l'universelle méfiance, Ashavérus de la misère et du travail ! Un jour par ci, un jour par là, tu trouveras à gagner ta vie - mais ce n'est pas pour toi que sont faites les calmes et constantes besognes ; que la grange rit au soleil ; que la forge s'allume dès l'aube ; que le petit atelier s'entrouvre dans la rue paisible, pavée d'herbe autant que de grès!

 

Sur ton passage, les filles rentreront ; les huis se barricaderont d'eux-mêmes ; les hommes t'envisageront avec hostilité, les gendarmes avec menace... Étant l'étranger, tu seras l'ennemi ! Pas une meule ne flambera à dix lieues à la ronde ; pas un écu ne disparaîtra des sacoches ; pas une volaille ne sera égarée des poulaillers sans qu'on t'en rende responsable ! Heureux encore si le crime ne s'en mêle pas ! Car sans preuves, sans présomptions, "sur la mine", Pandore abattra sa poigne gantée de daim sur ton collet dépenaillé !


Et il en sera ainsi, TOUJOURS - jusqu'à l'heure où ta carcasse roulera, à bout de souffle, en quelque fossé. A moins que, trop las, tu ne déroules ta ceinture pour l'évasion, ne l'accroches à quelque branche, n'y passes la tête... et ne te réfugies dans l'éternité !


Cependant, qu'a fait cet être, pour mériter tel destin ? Souvent rien - ou si peu !

De même que tout le fruit tient dans le pépin, que tout l'arbre tient dans le noyau, toute l'existence tient dans son origine, dans son inconscient et "innocent" début. Je souligne, à dessein, ce dernier adjectif car si l'Église a fixé l'âge de raison à sept ans, pour la conception idéale du bien et du mal, la notion psychologique du libre arbitre, nous savons bien, nous, qu'un égard aux rapports sociaux, relativement aux droits et aux devoirs civils, il faut au moins tripler le délai. Celui que la loi ne reconnaît pas apte à voter, à se marier, à être soldat, ne jouit donc ni de la plénitude de son intellect, ni de la plénitude de son développement physique ? Sa responsabilité, alors, ne s'aurait être entière... et que signifie cette émancipation du mineur seulement pour le bagne et l'échafaud ?


Le système social actuel fait des bêtes féroces, contre lesquelles, en conséquence, il y a obligation de garer les faibles. Il est, je l'avoue, des chenapans de dix-huit ans, irrémédiablement pourris, et auxquels je ne confierais pas le dernier de mes roquets ! Mais, presque toujours ils portent, comme tache originelle, ou l'abandon des parents, ou la condamnation trop forte encourue pour une peccadille. Du premier faux pas, leur vie dégringole, et s'en va choir à l'égout.


Et, le terrible, c'est que les juges, blasés, n'y entendent pas malice. Le propre du magistrat étant de condamner, ils condamnent – tout naturellement ; comme l'olivier donne ses olives, et le néflier ses nèfles ! Ils accomplissent une fonction factice avec l'ingénuité de la lente ou de l'arbuste ; très étonnés qu'on en puisse contester l'agrément... et la nécessité! Ils sont spontanés, ils sont sincères - ils sont honorablement malfaisants !



Plus d'un sursautera sur son siège, à la lecture de ces deux mots si bizarrement accouplés, et que j'écris sans colère, sans passion, sans ombre de haine : en observatrice obligée de se pincer, parfois, en de certains prétoires, pour s'assurer qu'elle est bien contemporaine du spectacle ; qu'elle n'est pas le jouet de quelque cauchemar suranné, tantôt comique, tantôt cruel, de quelque vision remontant le cours des âges, datant de Sésostris ou de Confucius...

 

 

Cette loi implacable que l'on invoque ; ces articles du Code, marmonnés comme des patrenôtres, en un bredouillement incompréhensible ; ces hommes, soit enrobés de noir, soit enrobés de rouge ; ces gardes galonnés d'or ; et ces captifs d'aspect gris ou brun, couleur de terre ou couleur de fumier, échappés d'ergastule dont le sort décide en un clin d'oeil - dix grains peut-être dans le filtre du sablier ! – tout cela, oui, relève plus de l'archéologie que de l'histoire, du songe que de la réalité, du passé plus que du présent !

Une immense curiosité, narquoise quant aux uns, émue quant aux autres ; un ébahissement profond... voilà tout ce que cet appareil, ce cérémonial, le principe même dont ils sont l'accessoire, inspirent au penseur attentif !


Et nulle part autant qu'à la correctionnelle, ceci ne s'affirme. En assises, l'idée des victimes, de leur sang répandu, de leurs souffrances endurées, trouble l'impassibilité auditrice. Un peu de la barbarie primitive, du Talion et du Lynch, bout dans les veines ; l'humanité, en ce qu'elle a de moins noble, se réveille au cour de l'assistant.

 

Ici, au "Moulin-à-café", rien de pareil. Nulle fureur, nulle frénésie ne fait tressaillir les âmes ; la raison ne s'enfièvre ni pour, ni contre ; l'instinct combatif demeure endormi. On voit de plus haut, on voit de plus loin. Et l'enjeu, moindre semble-t-il aux superficiels, m'apparaît davantage important - comme la mort bagatelle auprès de la vie !

Car le couperet conclut ; tandis que la première condamnation ouvre, bien bénévolement parfois, à de bien minces coupables, l'horizon désolé où les voilà parqués à jamais. Le trépas du lépreux me laisse indifférente, plutôt allégée ; ce qui me remplit d'angoisse, c'est le moment de la contagion, l'instant où l'être sain gagne le mal.


Or, le grand foyer d'épidémie, c'est la Correctionnelle. Punir un homme de ce qu'il n'a pas de pain, de ce qu'il n'a pas d'abri, de ce qu'il tend la main, est en fait  abominable ! Comme il est terrible aussi, pour son enfantillage, le détournement de quelques fruits, le mot vif à un agent, une batterie de gamins, l'acte de stigmatiser, indélébilement l'avenir d'un adolescent.

A la va-vite, on les condamne ; dossiers tournés du bout des doigts, textes tombés du bout des dents. Et d'autres juges, après, s'arment de cette sentence, en font la base d'autres sévérités...


Ah ! que Banville avait raison : "Aux pauvres gens tout est deuil et misère !"

Séverine, "En marche !..."

H. Simonis Empis, éditeur, 1896

Texte dédicacé au P'tit Niolas Sarkozy


 

 

 



 

LA CHASSE AUX PAUVRES EST OUVERTE !

 

On dit que la vie est une loterie.

En fait, depuis quelques mois, on se croirait plutôt sur le plateau de "Questions pour un champion".

Faisons un effort d'imagination. Il est 18 h 30, Papa est affalé au fond du fauteuil, Maman écoute au loin depuis la cuisine, les mômes s'engueulent dans leur chambre, lorsque Julien Lepers met en jeu la question pour départager les deux candidats.
« Top ! Je suis sale, j'ai très souvent un chien pour me permettre de soutirer des espèces aux passants, je trouve refuge dans des appartements vides sans verser de loyer à leurs propriétaires. Dépourvu de ressources, je prends les bus, le train sans titre de transport. Ma crasse intellectuelle me pousse à aller dans des rassemblements festifs gratuits à caractère musical non autorisés, où je m'adonne aux paradis artificiels. Je discute, parfois,
avec des copains dans des halls d'immeuble. On me voit revendiquer dans des manifestations. Je vais en prendreplein la gueule quand les nouvelles lois sur la sécurité seront votées, pardon, avalisées par le Parlement. Déjà,
Jospin et Vaillant avaient montré le chemin pour mieux me réprimer. Je suis…
- Un salaud de pauvre !
- Bien joué, Nicolas »
Et Nicolas Sarkosy a gagné le gros lot : les pleins pouvoirs pour assouvir sa véritable vocation, la maçonnerie. En effet, cet homme est en train de construire un mur entre les classes moyennes et les couches paupérisées de la société, encore et toujours stigmatisées comme classes dangereuses !

«Tract diffusé à la manif du 26/11 à Tours à propos des lois sécuritaires.

 Il est signé par le Collectif Libertaire de Touraine

c/o manta b.p. 7141 37 041

Tours cedex 2
e mail : collib@wanadoo.fr
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