POUR UNE MANIFESTATION LIBERTAIRE, UNITAIRE

ET NON-VIOLENTE

 


 

UN CERTAIN MALAISE SUBSISTE

 

N'existerait-il pas un malaise qui minerait de manière insidieuse le débat nécessaire sur la violence et la non-violence après Seattle ? Ce malaise, s'il existe, a certainement continué à se développer en Europe après les tragiques événements survenus au sommet du G8 à Gênes. La terreur et les provocations policières ont été suivies par de violentes campagnes de propagande "anti-casseurs" visant à fracturer le mouvement. Ces campagnes me semblent avoir suscité une certaine gêne dans la gauche radicale en général, chez les anarchistes en particulier. Ainsi, il est parfois devenu plus difficile de critiquer certaines tactiques par crainte de briser une unité nécessaire dans cette période d'expansion du mouvement certes, mais accompagnée aussi d'une répression féroce, dont les anarchistes sont parmi les premiers à payer la note.

 

BRUXELLES EN DÉCEMBRE

 

Dans toutes les réunions pour la préparation des événements de décembre à Bruxelles auxquelles j'ai assisté, il existait un consensus fort parmi les personnes présentes pour que la manifestation libertaire du 15 décembre reste pacifique. Malgré cela il ne fut pas décidé de rendre cette manifestation explicitement non-violente. Un autre exemple, la position concrète à aborder vis-à-vis d'actions de destruction de la propriété aux abords de la manif, m'a semblé être resté peu abordée et difficile à mettre sur la table. Ce malaise (que tous ne ressentent peut-être pas) trouve sans doute son origine dans une question, simple mais difficile, à laquelle nous sommes quelques uns à vouloir affronter. Cette question qui n'a pas encore pu trouver de réponse claire est la suivante : Comment organiser une manifestation délibérément pacifique sans tomber dans les pièges de la division? Question à laquelle, évidemment, personne ne peut apporter de réponse toute faite. Ce texte ne s'y essaie pas, il se limite à une synthèse de différentes réflexions qui ont vu le jour depuis Seattle sur ce thème de la (non)violence lors des contre-sommets. Ce texte n'apporte rien de fondamentalement nouveau (de nombreux textes ont déjà vu le jour) et se voudrait tout au plus une clarification du problème accompagnée d'une ou deux pistes de réflexion.

 

LES MÉDIAS CONTRE LES ANARCHISTES

 

Pour commencer par un constat évident, depuis les bloquages de masse survenus lors du sommet de Seattle, la presse américaine et européenne n'ont eu de cesse de dénoncer les violences commises par les "anarchistes". Depuis longtemps, les anarchistes n'avaient plus été mis ainsi sur les devant de la scène, ce qui confirme l'ascension du mouvement libertaire sur le plan international. Hélas, cette situation n'est pas sans analogies avec l'archéologie du mouvement, en l'occurence la période de la "propagande par le fait". Comme la presse bourgeoise de la fin du 19è siècle agitait alors le spectre de l'anarchiste-poseur-de-bombes pour terroriser les populations, les médias ont sorti aujourd'hui l'épouvantail de l'anarchiste-casseur-de-vitrines, s'immiscent dans les mouvements de masse pour y propager désordre et violence. Il semble hélas que la presse, mais aussi l'opinion publique, ne veulent bien reconnaître notre existence que lorsque celle-ci est amalgamée avec des scènes de violence et de saccage alors qu'elle tourne facilement le dos à toutes les activités militantes quotidiennes des activistes anars que ce soit au sein des mouvements sociaux ou dans les lieux autogérés. Léo Ferré aurait-il vu juste en chantant que les anarchistes, on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux…

 

Ceci est une réalité à laquelle nous devons faire face. Il semble que chaque fois que le mouvement libertaire constituera une force avec laquelle il faudra compter un tant soit peu, il aura à faire face à la diffamation grossière. Nous n'y pouvons rien. Même si le mouvement était unanimement non-violent, il est peu probable que cela modifierait la contre-propagande qui a toujours été menée à notre encontre. Ceci dit, cette contre-propagande, aussi stupide soit-elle, n'est pas à prendre à la légère car elle a peut avoir pour but non dévoilé de préparer le terrain dans l'opinion publique à une répression "légitime" à notre encontre. Pour revenir à la période de la "propagande  par le fait", n'oublions pas que celle-ci a été suivie d'une répression effroyable contre le mouvement anarchiste, qui n'en est pas sorti indemne. Sans être alarmiste, la question de nos choix stratégiques et de leur lisibilité politique reste d'actualité si nous souhaitons éviter un isolement dangereux.

 

TACTIQUES POLICIERES

 

À la lumière des tragiques événements de Gênes, la tactique des forces de l'ordre lors des grandes manifestations "antimondialistes" semble bien établie. Dans un premier temps, les robocops laissent les groupes de destruction de propriété agir en toute liberté. Si on juge qu'ils ne sont pas assez nombreux, des flics déguisés ou encore des groupements d'extrême-droite se joigneront à eux. Le deuxième temps consistera alors à charger brutalement les manifestants pacifiques, avec au préalable quelques provocateurs parmi les manifestants de préférence afin de semer la confusion nécessaire. Que les manifestants résistent ou nous, de manière violente ou non, les forces du désordre ne feront pas de détail : leur violence s'abattra indifféremment sur ceux qui se battent, ceux qui résistent par la non-violence active, et ceux qui fuient. Personnes âgées, femmes, enfants, manifestants, journalistes, habitants de la ville qui passent là par hasard, tout le monde y passe. Là ou il y avait un carnaval festif, il ne restera plus qu'un chaos enfumé...

 

Les forces de l' "ordre" offrent ainsi aux médias des scènes de violence et de saccage qui choqueront les habitants et aideront à légitimer la répression dans l'opinion publique. De plus, en alimentant le climat de terreur entretenu par les médias autour des manifestations "antimondialisation", on déplace l'objet du débat sur la seule question de la (non)violence en occultant ainsi l'objectif politique de ces actions, qu'elles soient de désobéissance civile non-violente ou de destruction de biens capitalistes. Les appels aux antimondialistes pacifistes à se distinguer nettement des "casseurs" lancés par divers parlementaires vise nettement à diviser un mouvement déjà très hétérogène[1]. Tous les amalgames grossiers entre radicaux non-violents (comme les Tute Bianche) et "casseurs", ou entre "casseurs" et "anarchistes" sont bien entendu les bienvenus dans le discours dominant afin d'obscurcir d'avantage la lecture politique des différentes composantes du mouvement pour une autre mondialisation. Le but est très clairement de briser la solidarité entre manifestants et d'enfermer dans un ghetto les éléments les plus radicaux, quels que soient leurs modes d'action d'ailleurs. L'idéal des gouvernants étant que les manifs anti-mondialistes retournent aux défilés encadrés, tranquilles et sans surprises, dont le capitalisme s'accommode fort bien dans les pays dits développés.

 

Pourtant il ne devrait faire aucun doute pour personne que ce sont bien les gouvernements européens qui portent l'entière responsabilité morale des violences qui ont pu se produire lors des derniers sommets. Les interventions généralement démesurées des forces de l' "ordre", leur propension a tirer les premiers, leur bêtise dans le harcèlement continu des manifestantEs sont au moins autant responsables de ce théâtre de guerre civile qui se répète de contre-sommet en contre-sommet que les manifestantEs qui se sont défenduEs contre les attaques policières et même que la minorité qui revendique la destruction matérielles. Cette minorité n'aurait pas été la, nous pensons que les attaques policières auraient été les mêmes, simplement parce que les manifestantEs dits "non-violentEs" ou "pacifiques" étaient déterminéEs à bloquer le sommet.[2]

 

Une fois ceci admis, cela ne solutionne toujours pas le question de départ Comment organiser une manifestation délibérément pacifique sans tomber dans les pièges de la division? Cette question en amène inévitablement deux autres, chacune très complexe :

· 1) l'attitude à adopter vis-à-vis des "Blacks Blocks";

· 2) les réactions collectives et individuelles face aux provocations ou aux charges policières.

 

LES BLACKS BLOCKS

 

Il convient tout d'abord de préciser que ce vocable ne désigne pas des groupes constitués mais des pratiques mises en place pour la durée des contre-sommets, très différentes les unes des autres, et menées par des acteurs hétérogènes (notons qu'il ne sont pas exclusivement composés d'anarchistes par exemple, on y trouve de nombreux communistes partisans de la guérilla urbaine, ainsi que des révoltés sans attaches politiques).

 

Pour prouver la diversité des approches regroupées sous le terme "Black Block", Patrice Spadoni notait que de nombreux témoignages ont rapporté de sévères dissensions entre les membres de ces Blocks, opposant ceux qui voulaient limiter leurs cibles aux "symboles les plus évidents du capital", à ceux qui s'en prenaient aux voitures des Gênois et aux commerces de proximité. (…) D'autres témoignages attestent que certains cortèges se réclamant des Blacks Blocks ont respecté le caractère pacifique des manifestants, n'engageant les exercices qui leur sont propres que plus loin, ou après la dissolution des cortèges.

 

Il est essentiel de préciser cette hétérogénéité dans les pratiques des militants pratiquant la destruction de propriété privée en reconnaissant la maturité politique de nombre d'entre eux afin de détruire l'image caricaturale donnée dans les médias. En ce qui concerne la destruction matérielle, sur le plan du principe, il est clair que les anarchistes ne confondront jamais la violence des "Blacks Blocks" qui ne se manifeste qu'à l'encontre d'objets matériels avec la violence des "Blue Blocks" suréquipés, que ce soit en armes ou en protections, qui répondent à la révolte violente par une violence que nous jugeons pire que celle des "casseurs" car c'est une violence aveugle, qui peut frapper touTEs les manifestantEs quelqu'ils/elles soient.2 Tous les non-violents honnêtes revendiquent aussi cette distinction.

 

Un certain nombre d'entre rejoignent même l'idée selon laquelle détruire des objets inanimés – des choses qui ne peuvent ressentir la douleur – n'est pas de la violence.[3] Ceci ne les empêche pas de critiquer ouvertement cette tactique sur différents plans. Il n'est pas la place ici pour en faire une critique détaillée[4] et parfaitement nuancée. Cependant on peut commencer en constatant que sur le plan du mouvement de masse qui s'est élaboré dans les luttes pour une autre globalisation, cette tactique se révèle contre-productive de manière évidente. Premièrement, ces actions ne provoquent aucun dommage aux gigantesques multinationales qui se moquent de quelques vitrines cassées et répercutent de toute manière les coûts sur les populations locales. Ensuite, cette tactique a pour principal effet d'isoler encore d'avantage les plus radicaux du mouvement.

Si les anarchistes se moquent bien que soit ternie l'"image respectable" que certains souhaitent donner aux manifestations, il me semble néanmoins important de reconnaître que la tactique de destruction de la propriété contribue à obscurcir le débat politique sur la mondialisation néo-libérale en le faisant dévier sur des questions périphériques (de sécurité, de violence, etc). On peut poursuivre en évoquant que la lisibilité de tels actes par l'opinion publique est quasi-nulle (sauf peut-être parmi les franges déjà radicalisées et conscientisées de la population). Il ne suffit pas qu'une cible soit bien choisie pour qu'une action soit bien comprise. De manière générale, il n'est pas certain que tous les "blacks blocks" considèrent en profondeur le rôle qu'il jouent dans le contexte de manifestations de masse.

Enfin, la dernière critique concerne uniquement certains "Blacks Blocks", ceux qui utilisent, de fait, la masse comme bouclier en se réfugiant au sein de cortèges pacifiques pour couvrir leurs actions. Une critique ferme peut probablement être adressée à ces comportements irresponsables, compte tenu des conséquences graves que de tes actes peuvent entraîner sur les autres manifestants, qui ne leur apportent pas obligatoirement leur soutien. Précisons de suite que, comme il a été souligné explicitement plus haut, il serait malhonnête de ranger l'ensemble des "Blacks Blocks" dans cette catégorie car bon nombre font preuve d'un grand courage en s'exposant seuls aux conséquences de leurs actes en agissant par groupes spécifiques, loin des cortèges ou après leur dissolution.

 

 

VIOLENCES DÉFENSIVES

 

Concernant les ripostes que des manifestants peuvent opposer à des charges policières, cette question semble facile à trancher sur un plan théorique. Il ne fait aucun doute que certaines violences peuvent limiter d'autres violences et que la légitime défense est un droit élémentaire. Sur un plan pratique, lorsque des policiers tirent (par exemple, ce n'est malheureusement pas le pire) des grenades lacrymogènes à tir tendu sur une foule de manifestants, si certains balancent des pierres ou des poubelles en guise de riposte ou pour couvrir la fuite des autres, il s'agit principalement de réactions instinctives d'auto-défense qu'il est impossible de condamner.

La vraie question n'est pas là. La question qui reste en suspens, c'est la répercussion que l'usage de la violence (même défensive) dans un mouvement de masse peut avoir sur la lecture politique qu'en aura la population. Cette question mérite d'être posée si l'on se place dans une logique à long terme où nous désirons continuer à élargir le mouvement à une partie plus large de la population, oscillant pour l'instant entre sympathie et méfiance.

Après avoir essayé de préciser brièvement les deux formes que la violence a pu prendre dans les rangs des manifestants lors des contre-sommet, il devient maintenant possible de tenter d'attaquer le cœur du problème, le problème de la cohabitation des tactiques.

 

LE MOUVEMENT "ANTIMONDIALISATION" N'APPARTIENT À PERSONNE

 

Zone de Texte: VIOLENCE ET MEDIAS

La grande presse aime à condamner les scènes de violence mais cette condamnation est empreinte d'hypocrisie car les médias sont en réalité friandes de telle scènes. Les images sensationnelles de violence constituent un produit de premier choix. Ainsi, en privilégiant les images de violence lors des contre-sommets, les médias entretiennent directement une su-renchère de cette même violence. À chaque manifestation, les télévisons nous présentent un spectacle animé, mais sans surprise. Les acteurs de ce spectacle sont bien connus et ils sont au nombre de trois. Présentation médiatique. D'un côté, il y a les "Blue Blocks", les pa-ladins modernes, robocopisés à outrance, leurs exactions sont parfois jugés excessives mais chacun sait qu'ils sont cependant au service de l'ordre et de la justice dans la galaxie. De l'autre côté, les "Blacks Blocks" ; eux ce sont les "méchants", des "extrémistes anarchis-tes" qui s'immiscent dans les manifestations et ne rêvent que d'un chaos mondial (sic). Entre ces deux camps viennent les "citoyens responsables", leurs revendications méritent d'être entendues, les politiques sont d'ailleurs près à leur promettre un "capitalisme à visage hu-main" à condition qu'ils ne se compromettent plus avec les méchants casseurs. 
 Nous en avons tous assez de ce mauvais théâtre ! Les anarchistes ne se soumettront pas à ce scénario bien ficelé où les rôles sont distribués à l'avance. Ils l'ont déjà démontrés à Liège, à Louvain, et à Gand, en y manifestant pacifiquement. Peu importe si la grande presse ne diffuse pas nos actions, nous ne faisons pas partie du spectacle. Si les médias veulent des scènes de violence, qu'elles aillent par exemple dans les villages civils afghans bombardés par la "justice sans limite" des USA. 

Le mouvement n'appartient ni aux ONGs, ni aux lobbies genre ATTAC, ni aux syndicalistes, ni aux écolos, ni au cocos, ni aux pacifistes, ni aux anars, ni aux Blacks Blocks, … Sa force réside dans sa diversité. S'il est vrai que l'énorme majorité des manifestants est résolument non-violente, cependant tous ne donnent pas le même sens à ce mot, et derrière cette unanimité de façade envers des actions pacifiques, se cachent des approches en réalité profondément différentes. Une question se pose donc : Puisque le Mouvement n'appartient à personne, comment pouvons-nous arriver à un mouvement multi-cause, multi-tactique, mutuellement respectueux et avec l'identité des groupes préservée ? C'était une des questions déjà posée par l'américain Michael Albert (Z Net) après Seattle[5] :

 

Comment des marcheurs pacifiques, ceux qui font de la désobéissance civile et ceux qui s'adonnent à des actes illégaux de destruction de la propriété d'entreprises peuvent-ils coexister sans se retourner les uns contre les autres et sans diminuer la portée des efforts de chacun ? (…) Comment des groupes différents avec des vues différentes sur les tactiques et la stratégie peuvent-ils tous appartenir à un seul grand mouvement, aucun n'étant réprimé dans ses aspirations et ses expériences et pourtant aucun n'empiétant sur les autres par ses choix ?

Ces questions étaient déjà répondues de façon partielle par la forme d'organisation de mouvement de masse, adoptée à Seattle et lors des contre-sommets qui ont suivi : la formation de groupes affinitaires aux objectifs distincts, de taille diverses et travaillant tant que possible sur base du consensus. Cette forme d'organisation a fait ses preuves, elle a démontré pratiquement la capacité créatrice des mouvements de masse, sans nécessité de prises de décisions centralisées dans les mains de quelques organisateurs.

Ce n'est pas un hasard si le terme de "groupes d'affinités" a été emprunté aux grupos de affinidad du mouvement anarchiste espagnol des débuts du vingtième siècle[6].

Hélas ce choix organisationnel, ne résout pas entièrement la question initiale (ce qui est probablement impossible à faire de manière absolue). Si ce système de fonctionnement permet, tant que faire se peut, de délimiter des espaces où se dérouleront indépendamment chaque type d'actions sans interférences destructives, ce système ne garantit cependant pas la cohésion du mouvement. Ce système n'a, par exemple, pas pu empêcher des lignes de fracture d'apparaître au sein du mouvement, et cela dès Seattle.

 

UNITÉ ET RESPECT MUTUEL

 

Une piste à explorer a déjà été proposée par divers acteurs de Seattle justement. Elle visait explicitement cette frange des "Blacks Blocks" très organisée et très mobile qui parvint presque complètement à éviter les affrontements policiers, les gaz et les arrestations. La question qui leur était posée peut sembler naïve mais s'avère pleine de bon sens : Est-ce que utiliser leurs prouesses organisationnelles pour protéger leurs compagnons manifestants en diminuant l'efficacité  de la violence policière et en aidant les autres à l'éviter n'est-il pas plus courageux (et meilleur politiquement) que de mettre les autres en danger en fournissant un prétexte pour plus de violences policières ?(…)

J'ai toujours été (…) impressionné par le courage des personnes expérimentées qui pouvaient aisément voir ce qui était en train d'arriver et pouvaient s'échapper si ils le voulaient, mais qui à la place utilisaient leurs talents pour aider à protéger leur co-manifestants moins bien préparés. [7]

Nous sommes nombreux à reconnaître du courage à bon nombre d'activistes "Blacks Blocks" engagés dans des actions d'affrontement délibéré ou de destruction de la propriété. Je crois certains d'entre nous, par contre beaucoup plus sceptiques quant à la pertinence de ces choix tactiques. Ces divergences de vue n'empêchent pas que les anars ne tomberons sans doute pas dans le piège de la division. Ceci implique aussi que l'on puisse souhaiter que pour les manifs internationales prévues les 14 et 15 décembre, les militants engagés dans ce type d'action rejoindront les manifestants non expérimentés et les feront profiter de leur expérience de manifs "dures" pour les aider à réagir sans panique ni riposte guerrière aux éventuelles agressions policières.

 

Cette tactique de collaboration et d'entraide semble s'avérer être la voie qui a été suivie de manière floue, implicite et spontanée dans les dernières manifestations en Belgique, qui se sont toutes bien déroulées. On peut s'en réjouir et espérer seulement que les réflexions et les efforts dans cette direction iront encore grandissant pour une unité et une solidarité fermes lors des manifestations de décembre à Bruxelles.

 

Si l'unité libertaire est indispensable pour résister à la répression, néanmoins il reste sans doute tout aussi indispensable que dans la presse anarchiste on continue à débattre de l'efficacité et de l'opportunité des différentes tactiques. Certes, l'unité ne peut se réaliser que dans la diversité et le respect mutuel de choix de chacun mais une cohabitation saine et durable ne peut se faire que si elle est accompagnée de confrontation d'idées constantes, surtout sur les sujets sensibles (comme les choix tactiques ou les moyens d'action). Osons peut-être d'avantage cette confrontation directe entre nous avant, pendant et après les contre-sommets. Ce n'est pas lors des actions, dans l'urgence, que ces divergences pourront être débattues et dépassées.

POUR CONCLURE

 

Les anars ne tomberont certainement pas dans le piège de la division, particulièrement dans cette période difficile de propagande et de répression anti-anarchistes, dans laquelle une solidarité forte est plus que jamais nécessaire. Cet appel à la solidarité est également lancé à tous les sympathisants des idées libertaires afin de soutenir le mouvement anar contre les vagues de criminalisation actuelles.

Héberger des compagnons pour la durée du sommet ou rejoindre la manifestation du 15 décembre constituent des moyens (parmi bien d'autres) de signifier que les idées libertaires trouvent un écho et un soutien plus large que les cercle restreint des militants anarchistes spécifiques. C'est pourquoi la manifestation "pour" du samedi 15 décembre ne se veut pas une manifestation spécifiquement anarchiste. Les libertaires savent que ce n'est qu'en élargissant le mouvement qu'ils pèseront efficacement sur les réalités sociales.

 

Les gouvernements qui ont armé la répression veulent nous réduire au silence, nous forcer à faire des manifestations qui ne soient pas festives. Ces gouvernements souhaitent nous obliger à résister et à riposter par la violence. Si nous pouvons continuer à les surprendre toujours d'avantage par nos mani-fêtes et nos manifest-actions radicales et sans violences, si nous réussissons à développer notre créativité et à prouver notre imagination au niveau local et international dans nos résistances actives et festives aux forces du désordre, il y a fort à parier que le mouvement libertaire continuera à se renforcer en s'élargissant d'avantage et pourra faire ainsi face à la répression.

 

« Xavier Bekaert

 

 

NB  C'est important de le préciser : ce texte exprime uniquement mes opinions personnelles et n'engage en aucun cas l'opinion d'aucun des participants du collectif anarchiste travaillant depuis des mois à l'accueil des manifestants, à l'aide juridique et médicale, à la préparation de la manif du 15, etc. Ce texte ne vise nullement à la polémique, seulement au débat, et si certains sont choqués par ce texte, toute critique ne peut être dirigées que contre ma personne et nullement contre les libertaires qui continuent à abattre un travail considérable depuis des mois pour préparer ce contre-sommet.

Xavier Bekaert (Bruxelles)


 

 

 



[1] Dans un document émanant du département fédéral suisse de justice et police intitulé Le potentiel de violence résidant dans le mouvement antimondialisation (juillet 2001), les forces de l'ordre préconisent explicitement cette tactique : "Les revendications et les appels au dialogue des membres les plus pacifiques du mouvement antimondialisation devraient être considérés avec plus de sérieux. Leurs tentatives de se détacher des groupes les plus violents devraient être soutenues de manière plus active."

 http://www.bap.admin.ch/f/aktuell/berichte/f_GpAGBw_bericht_2000_01.pdf

[2] Trouvé sur la liste de diffusion de la Fédé Anarchiste.

[3] Extrait d'une contribution au débat initié par les pacifistes de la War Resister League concernant la destruction de la propriété (Non-violent activist, n°s de juill.-août et sept-oct. 2001).

[4] Les anglophones peuvent par exemple se référer aux critiques détaillées, et argumentées point par point, vis-à-vis du communiqué du collectif ACME (une section du Black Block de Seattle) sur le site "Nonviolence, trashing and movement strategy"  http://www.lbbs.org/trashing.htm

[5] Ao! Espaces de la parole, Vol. VI, n° 2 (été 2000) http://www.ao.qc.ca/traductions/znet/mouvement.html

[6] Sanderson Beck, "Nonviolent Action Handbook"  http://www.san.beck.org/NAH1-Nonviolence.html

[7] Michael Albert, "Reply to the ACME collective" (http://www.lbbs.org/replytoacme.htm) trad. perso. donc approx.