Subject: NOUVELLES DE RAMALLAH

Amics,

L'actualité depuis une semaine nous parle de la situation à Ramallah. Pour

ma part, comme vous tous j'écoute radios et télés dans le but de savoir,

de m'informer … Mais cette avidité d'informations est aussi liée au fait

que notre fille ANAIS, se trouve là-bas.

De leur entre-sol, où ils se sont réfigiés, Anaïs, son copain Vincent et

deux amies Théo et Chadia ont décidé de tenir une chronique, au jour le

jour, afin de témoigner de leur quotidien, de ce qu'ils entendent, de ce

qu'ils voient.

Et ils souhaitent que ce texte circule largement sur internet. Je ne suis

qu'un maillon, je fait passer. A votre tour, n'hésitez pas à la faire

suivre.

Merci.

Amistats e a ben lèu,

                        

Salut tout le monde,

Voici un recit quotidien de notre vie sous occupation, pour vous situer l' affaire, nous sommes quatre dans l'appart de Theo et c'est surtout elle

qui a ecrit ce qui suit. En vous souhaitant bonne lecture, plein de bises

a tous et merci de nous entendre ...

Anais

premier  message

Voici le recit des evenements de ces derniers jours, heureusement qu'on a pris des notes !

Mercredi 27/03/2002.

L'armee israelienne a arrete une ambulance qui transportait soit-disant des armes et des explosifs, et dont un passager etait un "terroriste" recherche par Israel. Du coup, toutes les ambulances ont ete arretees et fouillees. Mon collegue le docteur Allam Jarrar, qui venait de Naplouse a Ramallah pour une reunion en ambulance justement (normal, il est medecin), se fait donc embarquer au poste parce qu'il n'avait pas de malade dans son vehicule. Nouvelle regle donc : une ambulance ne doit servir exclusivement qu'au transport des malades. Comment fait-on pour aller chercher les malades, mystere. Pour transporter du materiel medical, mystere egalement. Bon, ce n'est pas trop grave, ils ont fini par le relacher quand meme quelques heures plus tard.

Mercredi soir.

"Amaliyeh", c'est-a-dire "operation", c'est-a-dire encore bombe, a Netanya, dans une fete de debut de Pessah. Pres de 20 morts, une centaine de blesses. Pendant ce temps, le sommet arabe a commence en l'absence de Moubarak, d'Abdallah de Jordanie, d'Arafat, etc. et s'enlise dans les bavardages habituels, avec en prime la delegation palestinienne qui se fache et s'en va parce que le discours d'Arafat n'a pas pu etre diffuse, soit-disant pour problemes techniques. L'atmosphere ambiante s'ameliore donc d'une minute a l'autre, et on commence deja  faire les courses indispensables, sel, sucre, farine, lait. Et tout le monde va se coucher en attendant le lendemain.

Jeudi 27/03/2002 - matin.

Rien. Nous allons a notre travail normalement. Vers 9h, une rumeur commence a se repandre : al-Jazeera annonce que tous les consulats etrangers ont demande a leurs ressortissants de quitter Ramallah. Panique a bord chez les Palestiniens. Je telephone a Ann, ma chef, qui va aux renseignements aupres des autorites competentes. Les Nations-Unies et les consulats britannique, norvegien et canadiens confirment que ce n'est qu'une rumeur. Je calme donc mes collegues, et je pars faire une course en ville : c'etait pour le coup la panique generalisee, avec embouteillage monstre de parents qui allaient chercher leurs enfants a l'ecole et de gens qui faisaient des courses pour soutenir un siege. Je reviens au boulot une demi-heure plus tard. Mes collegues avaient decide de fermer le centre ; on fait monter les enfants dans le bus, on debranche tous les materiels electriques, et chacun rentre chez soi.

Jeudi midi.

J'arrive chez moi et je commence a faire la liste de ce qu'il me faudra en cas d'invasion. Vincent, un ami qui habite au bout de la rue, m'appelle et me demande si lui et Anais peuvent venir s'installer chez moi pour quelques jours ; c'est devenu la coutume lorsque nous nous attendons a des evenements desagreables, bombardements ou invasions, car leur appartement est situe au 5eme etage de l'immeuble le plus haut du quartier sur la rue principale, tandis que le mien se trouve a l'entresol au fond d'une impasse. Nous allons donc a notre tour faire les courses : dans la petite epicerie de 10m carres, il y avait bien 15 personnes, sans parler d'une queue de 400 personnes a la boulangerie du quartier, dont les gens repartent avec 8 kilos de pain. C'est bon, nous avons maintenant nous aussi de quoi soutenir un siege en termes de nourriture, nous achetons aussi des bougies et de l'eau en reserve. Entre-temps, les coups de fil continuent : le consulat de France n'evacue pas formellement, mais propose a ses ressortissants, deja eprouves par l'invasion d'il y a quinze jours, de les emmener a Jerusalem s'ils le desirent ; les Belges et les Espagnols sont deja partis ; les Nations Unies n'ont pas encore pris de decision, mais deconseillent a leur personnel de Jerusalem de se rendre dans les territoires occupes ; l'ONG "Medecins du Monde" s'en va.

Jeudi 16h.

On n'evacue toujours pas. Chadia, une autre cooperante francaise, appelle a

son tour ; elle habite a cote du Muqata'a (le quartier general d'Arafat) et demande si elle peut elle aussi venir squatter. Vers 18h, nous nous retrouvons donc tous les quatre, Anais, Vincent, Chadia et moi, dans mon appartement, et nous nous installons.

jeudi 19h30.

Ann, ma chef, m'appelle. L'armee israelienne a prevenu les services consulaires et internationaux que l'attaque sur Ramallah est imminente. Certains consulats ont annonce qu'ils ne pourraient plus offrir de services a leurs ressortissants une fois que l'invasion aura commence. Ann a donc decide d'evacuer, la, maintenant, tout de suite, de nuit et par la route des colonies. Je refuse categoriquement, je me sens plus en securite chez moi avec eventuellement des chars qui se baladent dans ma rue que de nuit sur la route des colonies, croisant des chars qui entrent dans Ramallah au moment ou je m'en vais. On se reinstalle donc, tous les quatre, plus Myriam et Micael, les voisins d'en face, qui viennent boire un pot et bavarder un peu.

Jeudi 21h.

Claude, la maman de Myriam, que nous avons prevenue d'une attaque imminente, telephone. Il  a effectivement eu une attaque, mais c'etait une attaque palestinienne contre une colonie pres de Naplouse. Le monde a l'envers ... Myriam et Micael rentrent chez eux, et nous allons nous coucher en attendant la suite.

Vendredi 29/03/2002 - matin.

Apres une nuit extremement calme durant laquelle nous avons dormi comme des souches, nous apprenons que l'armee israelienne a effectivement envahi Ramallah durant la nuit et occupe toute la ville. Ils ont detruit le mur d'enceinte de la Muqata'a (Quartier General d'Arafat) et commencent a

entrer dans le complexe lui-meme. Le

telephone se met a sonner, entre ceux qui prennent et ceux qui donnent des nouvelles. Le quartier reste par ailleurs extremement calme ; on entend a peine quelques bruits de tirs au loin.

Vendredi 9h.

Plus d'electricite. Donc plus d'ordinateurs (il faut economiser les batteries), plus d'internet, plus d'infos. Heureusement Vincent a une radio-walkman avec des piles que nous economisons egalement. Nous lancons egalement une operation "economisez les batteries de vos telephones portables" au cas ou la ligne fixe serait coupee. On papote, on fait la cuisine ; plus de four, plus de frigo, plus de micro-ondes, plus de robot non plus, pratique pour faire la puree de feves qui trempent depuis la veille, mais on y arrive quand meme - heureusement que la bouteille de gaz de la cuisiniere est neuve.

Myriam et Micael reviennent en debut d'apres-midi ; on papote encore, on joue aux cartes, en se demandant comment on va bien pouvoir s'occuper a la bougie quand il fera nuit. Pendant ce temps, le telephone sonne sans cesse. Divers appels, dont plusieurs de nos consulats respectifs qui prennent des nouvelles et verifient les contacts de leurs ressortissants, interrompant les parties de cartes enragees. La grand-mere d'une amie de Chadia, une vieille dame francaise mariee a un Palestinien, s'affole au telephone : la derniere fois que le consulat de France l'a appelee, c'etait en 1967, alors cette fois-ci, ce doit etre grave ... Nous apprenons aussi que la priere a la mosquee al-Aqsa s'est terminee en bataille rangee, et qu'il y a une autre "amaliyeh", une bombe dans un supermarche a Jerusalem. Diana, la voisine de Chadia, telephone aussi d'el-Bireh : les militaires ont commence a fouiller les maisons ; elle ne sait pas s'ils sont entres dans la maison de Chadia, mais elle est sure qu'ils occupent deja l'immeuble des proprietaires et installent des snipers sur le toit. 17h30, Myriam et Micael rentrent chez eux, et nous commencons a allumer des bougies.

Vendredi 19h.

Il fait nuit. On entend quelques coups de feu tellement proches qu'ils font trembler les portes, puis une ambulance. Nous decouvrons alors que les Israeliens ont installe depuis le matin des snipers dans l'immeuble en construction qui se trouve a 50m du notre, sur le meme trottoir. Notre voisine du quatrieme etage etait allee dans sa cuisine pour preparer a manger pour sa fille, et s'est pris une balle dans le bras. Elle n'a eu qu'une grosse eraflure, mais elle a du avoir la trouille de sa vie. Le Croissant-Rouge envoie une ambulance pour la soigner, ils se croisent sur notre palier et viennent la panser dans notre appartement pour etre a couvert. Nous allumons donc quelques bougies de plus. Les ambulanciers nous apprennent qu'il y a eu 6 morts et 60 blesses dans la journee. Ils avaient l'air epuises, debordes, et completement depasses par les evenements ; d'ailleurs ils ont du partir en courant apres un coup de fil qui leur signalait un autre blesse dans le centre-ville, non sans nous avoir laisse quelques pansements et bandages de reserves a la demande de la

proprietaire.

Les voisins des etages superieurs ont alors decide de descendre chez nous a

l'entresol, et ont fini par s'installer chez Rania, la voisine du rez-de-chaussee, qui etait seule chez elle, car nos appartements sont a l'abri dans la mesure ou nous n'avons pas de vue sur la rue et que nos fenetres ne sont pas accessibles aux snipers israeliens de l'immeuble voisin. Nous nous sommes donc rassis dans le salon pour grignoter un sandwich, puis, apres avoir entendu des tirs repetes dans la rue, nous sommes alles nous asseoir dans la chambre du fond en attendant que ca se passe.

Vendredi 21h.

Claude nous telephone encore. Les militaires sont chez eux. Ils ont defonce la porte de l'immeuble en lachant des rafales de mitrailleuse dans la

serrure, puis fracasse

les portes des appartements de la meme maniere, sans se soucier de la presence eventuelle des habitants a l'interieur. Elle est en train de parlementer avec eux, mais elle a tenu a nous appeler pour nous dire de nous tenir prets a leur visite. Nous preparons donc nos passeports en

attendant qu'ils

viennent. Myriam rappelle quelques instants plus tard : les militaires sont en train de s'installer dans leur immeuble ; ils ont regroupe tous les voisins au rez-de-chaussee, seule la famille francaise a le privilege de garder son appartement. Peut-etre alors qu'ils ne viendront pas chez nous. A tout prendre, nous descendons quand meme prevenir les voisins, pour eviter qu'ils ne se trouvent derriere la porte au moment ou les militaires feraient exploser la serrure.

Vendredi 21h20

On entend tambouriner a la porte de l'immeuble et crier en Hebreu. Nous

nous precipitons et crions en Anglais

que nous venons ouvrir. Une fois que nous sommes surs qu'ils nous ont entendus, nous ouvrons la porte, et nous retrouvons nez-a-nez avec 15 militaires qui nous mettent en joue. Nous leur disons immediatement que nous sommes Francais et Canadiens, et que le proprietaire de l'immeuble est Americain, et nous avons du insister pour qu'ils acceptent de croire que nous etions de "veritables" etrangers et non pas des Palestiniens binationaux. Cela dit, ils n'ont meme pas controle nos passeports, ils avaient du etre echaudes par leur rencontre avec Claude qui ne s'etait pas laissee faire. Ils sont ensuite montes dans les etages avec le proprietaire qui a du leur porter une bougie alors qu'ils avaient des lampes de poche ; il semblerait qu'ils voulaient simplement savoir sur qui ils avaient tire quelques heures auparavant. Quelques militaires sont restes sur notre palier pendant que nous retournions dans l'appartement et que nous allumions quelques bougies supplementaires. Le telephone sonnait sans cesse, ce qui les faisait enrager. Chadia a du couper court a une conversation avec sa maman ; quant a mon amie Line qui a telephone au mauvais moment, j'ai du lui repondre : "Excuse-moi, je ne peux pas te parler la, je me fais envahir". Puis les militaires sont redescendus et repartis. Nous avons bu un petit remontant et retelephone a Claude pour prendre de leus nouvelles. Elle avait parle au bureau de liaison de l'armee israelienne a Beit El pour negocier avec eux. Les ordres etaient clairs : l'armee avait decide de prendre ce batiment et le prendrait, Francais ou non, ils leur faisaient deja une fleur en les laissant dans leur appartement. Claude a neanmoins obtenu que les hommes puissent rester dans l'immeuble avec leurs familles (les militaires comptaient les jeter a la rue), et tous les voisins se sont retrouves enfermes dans le plus petit appartement au rez-de-chaussee, pendant que les militaires s'installaient au troisieme etage.

Nous sommes enfin alles nous coucher, epuises, alors que nous nous demandions quelques heures auparavant comment nous allions bien pouvoir nous endormir apres une journee d'inaction totale. A minuit, le telephone a

encore sonne pour nous annoncer une tuile de plus : Ann, ma chef, qui avait une bronchite carabinee, s'est retrouvee a l'hopital a Jerusalem avec une pneumonie. Un contact de moins avec le monde exterieur.

Ce qui nous a consternes durant cette journee, c'est le silence absolu des instances internationales : pas une seule declaration europeenne ou americaine, rien a l'ONU avant le soir ou ils ont commence a discuter ; la seule declaration vaguement rassurante du cote israelien consistait a dire qu'Arafat ne serait pas vise physiquement, ce qui ne nous a pas paru tres convaincant, pendant qu'Arafat de son cote annoncait qu'il ne se rendrait pas. Nous avons aussi appris le soir qu'il y aurait des negociations pour nous retablir l'electricite dans Ramallah, ce qui nous a redonne un semblant d'espoir, car nous avions deja brule 16 de nos 20 bougies durant les evenements de la soiree.

Samedi 30/03/2002 matin.

Je me reveille tot, et j'entends des mouvements de chars. Je vais ouvrir les volets du salon, et je vois par-dessus le mur qui me separe du jardin d'a cote la tourelle d'un char qui passe. Je referme le volet aussitot, et nous decretons qu'il faut le laisser ferme, car c'est la seule fenetre d'ou on apercoit vaguement la rue. Le va-et-vient des chars s'est poursuivi toute la journee, et quelques tirs sont venus s'y joindre, ainsi que quelques obus tires depuis des helicopteres dans une direction indeterminee. A un moment, Anais s'est retrouvee a quatre pattes dans la cuisine, en train de faire une pate a crepes, a cause d'une rafale un peu

trop proche.

Cela dit, les environs immediats de l'immeuble sont restes assez calmes

aujourd'hui ;  

et les bruits de tirs que nous avons entendus demeuraient suffisement lointains

pour que nous puissions mener notre petite vie.

Comme il n'y avait toujours pas d'electricite, nous avons lance une grande operation pour sauver ce qui etait dans le frigo, a commencer par les

oeufs,

et nous avons passe une bonne partie de la journee a faire des omelettes aux legumes et des crepes. Le telephone a bien entendu continuer a sonner, nous apprenant que Beit Jala a ete occupe dans la matinee, et que nos amis de Bethleem, Naplouse et Gaza constituent a leur tour des stocks de vivres en

prevision d'une invasion prochaine. C'est aussi au telephone que nous avons appris que l'immeuble Al-Natcheh, dans lequel se trouve le Centre Culturel Francais de Ramallah, a ete litteralement devaste par les combats entre les shababs (jeunes hommes) palestiniens qui s'y etaient refugies et les

militaires israeliens.

On nous a parle egalement de la derniere resolution du Conseil de Securite des Nations Unies, qui a ete consideree comme nulle et non avenue par le gouvernement israelien ; de delegues europeens qui auraient apporte vivres et batteries de telephone portables a Arafat, qui est confine aux deux dernieres pieces qui n'avaient pas encore ete occupees dans la Muqata'a ; et de la reaction internationale (enfin!) aux evenements de Ramallah : manifestations a Paris, a Lyon, a Marseille et a Athenes, ainsi qu'au Liban, en Egypte, en Libye et en Irak (parfois on se demande pourquoi les Palestiniens ont des ennemis vu les copains qu'ils ont ...), declarations de Chirac et de Vedrine, possibilite d'une rencontre de diplomates russes, americains et francais avec Arafat - si les Israeliens les laissent y aller, car Terje-Larsen, le representant de l'ONU en Palestine, n'a eu le droit de ne rencontrer qu'Abu Mazen, alors que Jose Bove, qui s'est retrouve volontairement coince a Ramallah, a encore fait un coup d'eclat en rencontrant Arafat lui-meme.

Enfin, on nous a dit que dans le centre-ville d'el-Bireh, les militaires ont appele au haut-parleur tous les hommes de 14 a 45 ans a sortir de chez eux les mains en l'air, comme cela avait ete fait dans les camps de refugies il y a quinze jours, et les ont sequestres dans une ecole, comme d'habitude. Dans la serie des anecdotes sympathiques, nous entendons aussi parler des cinq membres de la Force 17, la garde personnelle d'Arafat, qui ont ete retrouves abattus d'une balle dans la tete. Khaled, un autre garde du corps d'Arafat, que Chadia connait parce qu'il prenait des cours de Francais au Centre Culturel, a ete blesse dans le Muqata'a, evacue plusieurs heures plus tard en ambulance une fois que les Israeliens ont donne le feu vert, arrete dans son ambulance par les memes Israeliens, emmene et torture, puis jete sur un bord de trottoir ou des habitants de la rue ont enfin pu le ramasser et le soigner.

Dans l'apres-midi, les coups de fil se sont faits plus inquietants : les parents d'Ibrahim, le mari de Diana (les voisins de Chadia) n'arrivent plus a joindre leur fils, et appellent plusieurs fois Chadia pour lui demander si elle a des nouvelles. Chadia telephone chez Ibrahim et Diana, pas de reponse ; elle telephone chez elle, la ligne est occupee, alors que sa maison est vide. Une heure plus tard, elle reussit a avoir Diana au bout du fil : les militaires sont entres chez elle, les ont faits coucher par terre son mari et elle, les ont interroges sur des hommes armes et ont saccage leur appartement. Ils ont ensuite voulu emmener Diana parce qu'elle a un passeport israelien et qu'elle n'a donc rien a faire a Ramallah, alors que son mari est Palestinien ; mais Diana a refuse. Quand les militaires se sont diriges vers la maison de Chadia, Diana leur a dit qu'elle avait les cles, et que la maison appartenait a une Francaise, pour eviter qu'ils ne defoncent la porte ; les militaires lui ont ri au nez. Ils ont donc defonce la porte et devaste la maison de Chadia : Diana a filme apres leur depart la tele par terre, les tiroirs renverses, la chaine hi-fi fracassee. Elle a

aussi dit que le camescope de Chadia, les cassettes et les bijoux avaient disparu, et que la boite de chocolats que Chadia et elle avaient ouverte jeudi apres-midi avait ete videe et apparemment mangee (!). Chadia compte porter plainte a travers le Consulat de France, peut-etre que cette plainte-la va aboutir ? Vincent et Anais commencent a se faire du souci pour

leur appartement, qui n'est qu'a 300m d'ici, mais que nous ne pouvons pas aller

voir. Tous les recits que nous avons entendus de militaires "visitant" des appartements palestiniens concordent : les militaires israeliens se comportent au mieux comme des vandales et au pire comme des bandits de grand chemin, et se livrent au pillage pur et simple de Ramallah.

Cette journee nous a semble nettement plus calme que la veille, dans la mesure ou moins d'evenements sont venus bouleverser notre existence. Nous nous sommes meme couches de bonne humeur, apres un coup de fil d'un ami de Vincent, durant lequel nous avons entendu moultes interferences : Vincent a

pu suivre une conversation en Hebreu et en Francais en plus de la sienne, ce qui nous a faits beaucoup rire. Nous avons ensuite entendu les chars monter et redescendre dans la rue, puis nous sommes alles nous coucher. La nuit nous a semblee calme, car nous avons a nouveau dormi comme des souches, a l'exception de Chadia qui a entendu des tirs avant de s'endormir a son tour.

Dimanche 31/03/2002 matin.

Nous nous reveillons au son d'une rafale. Toujours pas d'electricite. Nous prenons le petit dejeuner, puis nous decidons de faire cuire le poisson qui avait fini de fondre dans le congelateur, et nous nous retrouvons a manger du poisson un dimanche de Paques - heureusement il y a la Paque orthodoxe en Mai, et nous prevoyons a l'avance de manger de la viande pour le Vendredi Saint. Les nouvelles commencent a arriver au telephone : l'armee israelienne serait entree dans la salle a manger d'Arafat, Marwan Barghouti (une tete du Mouvement Fatah) aurait disparu dans la nature, il y aurait

eu des incursions

a Jabalia (camp de refugies au nord de la bende de Gaza) et a Hebron, et Naplouse et Bethleem sont encerclees. Les diplomates russes, americains et francais n'ont pas rencontre Arafat. Il y aurait des Belges et des Francais en Palestine qui se demandent pourquoi Jose Bove a pu rencontrer Arafat alors que le reprensentant de l'Union Europeenne, Moratinos, n'y arrive pas. D'autres infos nous ont faits rire, en revanche

: l'armee israelienne a pris la centrale d'emission d'al-Watan, la television nationale palestinienne, a interrompu les programmes habituels et diffuse des films pornos a la place ... Je propose donc comme prochaine "amaliyeh" de prendre les bureaux de la tele israelienne et de leur passer quelques heures de Coran lu par Ahmad Yassine (grand chef du Hamas), pour leur demander

l'effet que ca fait. Et George W. Bush a encore fait preuve ce matin de sa lucidite

habituelle en disant qu'Arafat devait prendre des mesures contre les terroristes : c'est sur que s'il a des militaires israeliens dans son salon, il devrait reussir a arreter tous les militants du Hamas dans la minute.

La seule bonne nouvelle du jour, c'est que l'electricite est ENFIN revenue, ce qui nous a permis de nous livrer a une explosion de joie, de recharger les batteries de nos portables, de nous connecter a Internet et d'allumer le chauffage et le chauffe-eau, parce que dans tout ca j'ai oublie de preciser qu'il fait un froid de canard. Et c'est clair que de ne plus etre dans le noir ce soir, ca nous fait un bien fou. A part ca, les nouvelles de la journee n'ont pas ete franchement rejouissantes : attentat a Haifa, avec quinze morts au moins, et encore un attentat a Gush Etzion, une colonie proche de Bethleem. Sachant que pour chaque attentat nous ajoutons une semaine d'occupation, nous commencons a nous dire que les vivres vont nous manquer, parce que nous n'en avions prevu que pour deux semaines au depart. Les chars continuent a monter et descendre la rue. Encore 6 membres de la Force 17 retrouves avec une balle dans la tete. Ramallah est declaree zone militaire fermee, avec ordre aux journalistes et aux etrangers de quitter la ville - quant a la question de savoir comment nous allons partir, c'est un autre probleme : a moins de nous teleporter, je ne vois pas comment nous allons faire ; d'ailleurs un journaliste americain qui s'est risque dans la rue aujourd'hui s'est retrouve a l'hopital. Le poste de police en face de chez mon amie Naela aurait ete detruit. Et pour finir, Sharon fait un discours ou il declare Arafat ennemi du genre humain, et decide de deporter manu militari tous les etrangers non-residents de Ramallah - en clair, il veut virer Jose Bove et sa bande qui se sont installes chez Arafat ce matin et qui ont declare qu'ils ne partiraient pas ; cela dit quelques instants apres le discours, 12 d'entre eux etaient arretes et seraient expedies avec armes et bagages, direction l'aeroport. Semi-bonne nouvelle aussi, il semblerait que les militaires sont repartis de l'immeuble de Claude (ouf !)

pour s'installer dans l'immeuble d'en face (flute !).

Cote international, ca n'a pas l'air d'avancer beaucoup : bruler des synagogues en France, ca ne fait pas beaucoup avancer le probleme ; les Etats-Unis soutiennent toujours Israel, mais la Jordanie menacerait de couper les ponts avec Israel si ca continue comme ca, et il y aurait quelques pays (dont la Grece, j'ai toujours dit que c'etait des gens bien) qui parlent de genocide. Apparemment, il y a de quoi, puisque nous venons d'entendre parler de trente membres des forces de securite palestiniennes qui auraient ete arretes et executes sommairement a 500m de chez nous, a confirmer. Et sans parler des descriptions qu'on nous a faites de Ramallah, par des gens qui ont la tele ou qui ont tout betement vue sur le rue, et des photos qu'on a vues sur Internet : la ville toute entiere a ete devastee, tout simplement.

Il y a trois jours, Anais nous racontait un sketch qui avait ete monte par le theatre al-Kasaba a Ramallah au debut de l'Intifada. C'est l'histoire d'un Palestinien de Ramallah qui parle au telephone avec ses cousins aux Etats-Unis et qui raconte les evenements, et il termine chaque phrase par "Alhamdulillah, kullu tamam", autrement dit "Dieu merci, tout va bien". La conversation avance donc "Et Untel, comment va-t-il ? - Oh, il est mort le pauvre, mais il est bien mort, alhamdulillah kullu tamam. - Et Unetelle, comment va-t-elle ? - Oh, elle est morte elle aussi, mais elle est bien morte, alhamdulillah kullu tamam - (On entend un gros boum) Et la que se passe-t-il ? - Oh, c'est un missile qui vient de traverser le mur du salon, mais alhamulillah kullu tamam." Que pouvons-nous dire d'autre alors pour conclure ? Alhamdulillah kullu tamam.

Vincent, Anais, Chadia et The second message

Dimanche 31/03/2002, très tard le soir.

Nous regardons les infos avant de nous coucher. Pendant que la connexion a Internet se met en route, Vincent se demande comment les Etats europeens peuvent decemment ne pas convoquer les ambassadeurs israeliens pour leur sonner les cloches. La premiere breve que nous lisons sur Haaretz nous remonte le moral : "23:40 French Foreign Ministry summons Israeli ambassador to discuss Israeli operations in the West Bank", et plus loin "21:46 Greek Foreign Minister George Papandreou cancels trip to Israel following escalation of violence", "20:05 Greek parliament speaker calls Israel`s actions against the Palestinians `genocide`", plus un article qui dit que le Maroc envisage de prendre des "mesures" contre Israel. Ouf, ca va mieux, nos pays respectifs font quand meme quelque chose pour nous. D'autres infos nous consternent autant par leur contenu que par leur manque  de precision : "22:50 Number of Palestinians killed by IDF soldiers during

Ramallah operation" (Haaretz toujours). Il semblerait que le nombre precis de morts, on s'en fiche, alors que le nombre de victimes de l'attentat de Haifa est remis a jour a chaque minute. C'est lorsque nous regardons le site web de CNN que nous hurlons. Le gros titre de premiere page annonce "Terror attacks kill at least 14", et dans le corps de l'article, apres 5 paragraphes sur Haifa et Gush Etzion, qui comprennent un lien vers le recit detaille de l'attentat, voici l'unique passage qui se rapporte aux evenements de Ramallah : "Meanwhile, in the West Bank city of Ramallah, Israelis and Palestinians exchanged gunfire Sunday at Palestinian Authority  President Yasser Arafat's headquarters, which has been under siege by

Israeli forces for three days. Israeli officials vowed to continue with the military operation." Faut-il en deduire qu'il n'y a de combats a Ramallah

que dans les environs du QG d'Arafat ? Que les chars et les snipers dans notre rue ne sont qu'une illusion ? Que notre voisine n'a pas ete blessee dans sa cuisine ? Ou bien que  les Palestiniens sont tout bonnement immortels ? Pas une seule mention des morts et des blesses de Ramallah, pas une seule, qu'ils soient civils ou militaires, et CNN se garde bien de preciser qu'il y a ordre aux journalistes de quitter la ville et que les activistes occidentaux qui se trouvaient chez Arafat ont ete expulses. La honte.

Lundi  1 /04/2002  matin.

Nous sommes reveilles par un appel de RMC Info, qui veut recueillir notre temoignage sur les evenements des derniers jours. Le telephone et l'electricite marchent toujours, ouf ! Le va-et-vient des chars dans la rue marche aussi, alhamdulillah kullu tamam. Apres avoir raccroche, je me connecte a Internet pour lire les dernieres infos et charger les mails du matin, et la, surprise agreable : je recois notre propre texte en plusieurs exemplaires, de plusieurs sources differentes dont certaines me

sont

totalement inconnues. La diffusion a visiblement bien marche, c'est encourageant. RMC Info appelle encore deux heures plus tard. Il semblerait que le monde exterieur commence a s'interesser a nous de maniere plus concrete ; hier soir encore une amie journaliste disait a Chadia qu'elle etait consternee par la reaction de la presse internationale qui se concentrait uniquement sur le sort d'Arafat sans se preoccuper de ce qui arrive aux civils de Ramallah. L'anecdote folklorique du matin, c'est qu'il y a eu le passage à l'heure d' ete en Israel, mais pas dans les territoires occupes. Nous avons donc une heure de decalage horaire avec Jerusalem, mais plus de decalage avec Paris. Les colonies sont a l'heure israelienne, peut-etre que les militaires de la rue le sont aussi. Allez donc mettre d'accord des gens qui ne sont pas fichus de vivre a la meme heure lorsqu'ils sont voisins de palier ...

9h.

L'electricite est de nouveau coupee. Dommage. La suite du recit par mail devra attendre. Ann telephone : elle est toujours a l'hopital, mais va nettement mieux ; elle prend de nos nouvelles et nous dit que le plus dur est apparemment deja passe pour nous, meme si l'occupation de Ramallah pourrait bien durer encore plusieurs jours.

10h30.

Fausse joie : Claude nous annonce au telephone que les militaires israeliens ont quitte notre rue et se sont replies vers la vieille ville, deux rues plus haut. Tout le monde se precipite sur le trottoir, et certains en profitent meme pour sortir les poubelles. Ca fait du bien de voir la lumiere du jour. La rue est dans un sale etat : un arbre est ecrase, des ordures sont renversees partout, quelques canalisations ont explose ; seule l'unique voiture qui etait encore garee dans la rue en a rechappe comme par miracle. Maher, le proprietaire, constate que le robinet d'alimentation en eau de l'immeuble a ete ferme de l'exterieur ;

il le

rouvre, et heureusement l'eau arrive encore. Nos reservoirs d'eau qui sont sur le toit, et sur lesquels nous vivions depuis un moment sans le savoir, se remplissent donc. Anais a a peine eu le temps de prendre deux photos, et on entend un bruit de char qui se rapproche. Tout le monde se

reprecipite

à l'interieur ; ils sont revenus, et le va-et-vient des chars recommence deja. Claude confirme neanmoins que les militaires ont bel et bien quitte leurs bases dans la rue, y compris son immeuble et celui d'en face. L'appartement du troisieme etage, au-dessus de chez eux, n'est plus bien

propre ;

la cage d'escalier est pleine de sable et de boue. L'immeuble d'en face est completement devaste. Nous essayerons de prendre des photos des que ce sera possible de traverser la rue.

11h.

Diana, la voisine de Chadia, telephone. L'immeuble en face de chez elle a ete occupe pendant deux jours, les militaires viennent a peine de s'en aller. Les familles se sont retrouvees enfermees une fois de plus au rez-de-chaussee, et un collier en or et 400 shekels (100 euros) ont disparu. L'un des hommes de la famille est alle en parler a l'officier israelien qui commandait la troupe ; l'officier lui a dit qu'il menerait une enquete et que les biens seraient rendus s'ils etaient retrouves : il n'a meme pas nie une seule seconde la possibilite du vol. L'affaire en est restee la, les militaires sont repartis, et le collier et l'argent n'ont bien entendu pas ete restitues. Diana parle aussi d'une voiture deliberement ecrasee par un char dans la rue, et ajoute que l'electricite est coupee depuis qu'un char toujours a roule sur le pylone. Elle a pu suivre auparavant les infos israeliennes, car elle parle Hebreu constamment, et elle est consternee : moultes interviews des victimes des attentats en Israel et de leurs familles, ce qui est tout a fait legitime, mais pas une seule image de Ramallah, ce qui l'est moins - d'autant plus que les speakers israeliens parlent de combats intenses dans Ramallah, et que nous n'en avons pas vu la couleur. Un ami journaliste qui est en contact avec Amira Hass le confirme : meme au Muqata'a, il n'y a que les Israeliens qui tirent. No comment.

Chadia apprend egalement ce qui est arrive a Hani. Lors de la precedente occupation de Ramallah, les militaires l'avaient deja embarque pour se servir de lui comme bouclier humain lors de leurs rafles, et l'ont relache apres l'avoir gifle quand il a finalement ete trop terrifie pour pouvoir continuer a les suivre. Avant-hier, les militaires sont de nouveau entres chez lui et les ont emmenes, lui, son frere et son cousin, dans l'ecole ou ils concentraient les shebabs arretes. Son frere et son cousin sont revenus le lendemain matin : ils ont raconte qu'on les avait relaches, et qu'ils

avaient vu partir un bus plein de prisonniers. Depuis, plus de nouvelles de Hani.

12h.

Nathalie au telephone, a Dheishe, un camp de refugies pres de Bethleem. Ce matin, Haaretz annoncait que l'armee israelienne avait pris Qalqilya et avait avance dans Bethleem, et que les chars seraient a 500m de l'eglise de la Nativite. Nathalie confirme pour les 500m, mais dement qu'ils aient avance des positions qu'ils occupaient a Beit Jala il y a deux jours - il faut dire que Bethleem, c'est tout petit. Il y aurait 200 chars autour de la ville. France 3 est a Dheishe, et 60 internationaux francais, suisses et italiens se sont installes dans le camp au titre de la Mission Internationale de Protection Civile du Peuple Palestinien. Quelques Americains sont toujours a Beit Jala dans le meme type d'action. Nathalie nous dit egalement qu'on ignore ou est Jose Bove ; apparemment il n'aurait pas encore ete remis dans l'avion. Nous voila rassures. Sinon, a Dheishe, tout le monde attend l'invasion.

Un peu plus tard, j'ai mon amie Naela au telephone. A deux maisons de chez elle, il y a un grand batiment dont le rez-de-chaussee est un entrepot de cosmetiques et les etages un ensemble d'appartements et de studios a louer au mois ou a la semaine. Hier soir, les militaires ont force la porte du batiment en suivant leurs bonnes vieilles habitudes, ont devaste les studios et vole les telephones portables des gens qui s'y trouvaient, puis ont coupe l'eclairage public dans la rue, installe des snipers sur le toit, defonce la porte de l'entrepot, et 12 chars ont defile les uns apres

les

autres devant le batiment et son repartis charges de cosmetiques. Meme recit de la part d'une autre amie au sujet du supermarche Max. De maniere generale, les temoignages concordent la encore : l'armee israelienne se livre au pillage de la ville avec une systematicite telle qu'il est clair que les militaires ont des instructions a ce sujet, ou du moins qu'il y a des officiers qui ont pris l'initiative de donner ce type d'ordres a leurs soldats. Et depuis ce matin, le son que nous entendons le plus souvent est celui de tirs sur les volets metalliques des magasins.

14h.

Notre rue s'est effectivement calmee, et les passages de chars se sont faits plus rares. Myriam et Micael decident donc de tenter une sortie et de venir faire une partie de cartes avec nous. Nous avons donc eu droit au recit detaille de leur cohabitation avec les militaires. Les militaires ont tout d'abord lache une rafale dans la serrure pour ouvrir la porte d'entree, puis ont applique le meme traitement a la porte de la voisine du rez-de-chaussee, qui a fini par reussir a leur ouvrir pendant qu'ils tiraient encore. Claude, Myriam et Micael etaient sur le palier quand ils sont montes aux etages, et se sont retrouves avec l'officier, un homme de 25 ans tout au plus, assis sur leur canape. Les hommes des familles voisines ont du attendre dans la rue sous la pluie que la fouille du batiment soit terminee. L'officier a vaguement parlemente avec Claude, communiqué avec son chef et leur a dit formellement que ses instructions etaient de s'installer au troisieme etage de ce batiment, ou a defaut au deuxieme (donc dans l'appartement de Claude) s'il n'arrivait pas

a ouvrir les portes du troisieme. Il a demande a ses subordonnes d'apporter la massue de 5 kilos pour defoncer la porte, et le branle-bas de combat a

commence, pendant que Micael buvait un verre de whisky a chaque coup de massue. Le militaire a ete quand meme assez sympa pour leur proposer des bonbons, mais a neanmoins fait quelques remarques "interessantes" : "Je ne vois pas en quoi je devrais me justifier d'etre ici, je suis chez moi en Israel apres tout" (precisons que c'est un fils de colon du Sinai, il l'a dit a Micael), "Ce n'est pas moi qui ai tire sur la porte, et de toute facon, s'il y avait eu des enfants derriere, je m'en fiche completement", "Quand tu auras tes grand-parents assassines dans un hotel un soir de Pessah, tu comprendras pourquoi nous faisons la guerre". La-dessus, les militaires avaient fini de defoncer la porte du troisieme etage et sont montes s'installer, apres avoir enferme tous les voisins au rez-de-chaussee et Claude et sa famille chez eux. Dans les jours qui ont suivi, Claude devait leur demander la permission pour aller voir les voisins, et les conversations devaient se faire en Anglais pour que les militaires puissent comprendre. Les militaires ont fouille les appartementsdes voisins tres sytematiquement et ont meme ramene les albums de photos de famille chez Claude pour lui demander d'identifier

qui etait sur les

photos. Myriam et Micael les ont vus deployer des photos aeriennes de

Ramallah où l'on pouvait

distinguer chaque maison ; au moins maintenant nous savons a quoi servent

les drones

qui tournent au-dessus de nos tetes depuis un an. Micael les a aussi vus se filmer les uns les autres pendant leurs patrouilles dans la rue avec une camera video

(celle de Chadia peut-etre ?), facon souvenirs de vacances ; il y en a meme un qui l'a pris

en photo depuis la tourelle d'un char pendant qu'il etait sur la veranda. Autre anecdote amusante, les chats de la rue tournaient autour des chars et en reniflaient les chenilles, et l'un d'entre eux a meme pisse dessus. Tout le monde s'est accorde pour dire que les militaires etaient nettement plus agressifs en groupe que seuls, et que lorsque la releve est arrivee, la situation est devenue un peu plus tendue dans la mesure ou les nouveaux arrivants ignoraient qu'il y avait des Francais parmi les habitants de l'immeuble. Ils sont finalement repartis hier soir, sans vraiment prevenir les habitants, qui n'ont ose monter au troisieme etage que ce matin. L'un des deux appartements, qui est inhabite en temps normal, n'etait pas encore trop amoche, mais l'autre etait extremement sale, avec de la vaisselle

utilisee dans la cuisine et du papier toilette souille dans le bidet. En revanche, l'immeuble d'en face, ou les militaires ne sont pourtant restes qu'une nuit,

est saccage, et quelques revues porno ont ete abandonnees sur la table - a croire que le porno est une activite essentielle de l'armee israelienne. Myriam nous a raconte aussi comment tous les voisins n'osaient pas encore toucher ce qui avait ete touche par les militaires.

Et elle

nous annonce le gag de la journee : elle a vu passer un employe de la compagnie

d'electricite avec son echelle dans la rue et a pu lui dire que l'electricite etait de nouveau coupee dans le quartier - mais comment cet employe faisait-il pour circuler comme ca ? Escorte par une ambulance de la Croix-Rouge Internationale bien sur !

 

15h30.

Apres la partie de cartes, Myriam et Micael sont rentres chez eux, apres une petite frayeur due a un bruit de moteur au moment de traverser la rue. Il semblerait qu'un bulldozer etait en train de demolir quelque chose dans la parallele, mais nous ne savons pas quoi. Comme un petit rayon de soleil etait apparu entre-temps, nous nous sommes dit que le chauffe-eau solaire accepterait peut-etre de nous fournir un peu d'eau tiede, et nous avons pris des douches, fraiches quand meme, mais c'est mieux que rien. Et c'est evidemment au moment ou nous avions fini que l'electricite est revenue, ouf ! Vincent a eu son proprietaire au telephone, et apparemment les militaires n'ont pas encore "visite" leur immeuble. Ouf aussi ! Nous nous sommes donc precipites pour consulter les infos sur Internet et envoyer nos mails (plus recharger nos batteries, etc., etc.). Info amusante : Arafat porte le deuil pour la reine-mere d'Angleterre, que dire ?

L'invasion de Tulkarem a commence, et le gouvernement israelien annonce qu'il se preoccupera graduellement de toutes les villes palestiniennes. La Jordanie a renonce a prendre des sanctions contre Israel, en comptant sur la negociation et le dialogue pour arriver a une solution, ils sont optimistes ! L'Irak demande aux pays arabes d'envoyer des troupes pour se battre contre Israel, optimiste aussi, et la Ligue Arabe menace de se reunir a nouveau, et la, Sharon est mort de peur !

18h

Durant l'apres-midi, on entend des helicopteres et un bombardement, et quelque patrouilles de chars qui passent dans la rue. Nous entendons ensuite deux enormes explosions et des coups de feu dans le quartier. Il semblerait que les Israeliens soient en train de s'en prendre a la mairie de Ramallah. Un ami journaliste nous a quand meme un peu reconfortes en nous disant que l'attention du monde entier etait plus que jamais fixee sur Ramallah depuis que Sharon a interdit la presence des journalistes dans la

ville. Et Pierrette nous a beaucoup faits rire en nous disant qu'elle a croise Jose Bove entre deux flics et des chaines aux pieds a Jerusalem, pendant qu'il se faisait expulser vers l'aeroport.

19h

Je me connecte a Internet. J'ai 43 messages depuis ce matin, ca fait du bien : des nouvelles de manifs de soutien aux Palestiniens dans le monde entier, d'actions proposees contre Israel et la (non-) reaction des gouvernements occidentaux, des mots d'encouragement des amis et de la famille. Ca permet toujours de ne pas s'effondrer quand Vincent nous annonce qu'un jeune a ete assassine dans l'immeuble de Sari, qui est egalement occupe, trois pates de maisons plus loin : il n'avait pas reussi a se mettre d'accord avec le militaire pour aller aux toilettes, et il s'est fait tabasser a mort devant sa famille. C'est un crime apparemment tres grave. On nous raconte aussi des histoires d'accouchements par telephone et d'enfants morts-nes qui donnent froid dans le dos.

Nous parlons aussi a des amis de Naplouse et d'Hebron. A Hebon la situation est calme ; Anais dit a notre amie que nous allions bientot etre a court

de cigarettes, mais comme les portes de plusieurs magasins ont ete defoncees

dans la rue, elle propose d'aller y chercher des cigarettes si les militaires en ont laissée, et de poser le coût en shekels sur le comptoir pour que

les militaires le prennent au prochain passage peut-etre. On nous dit que les chars se sont mis en mouvement vers Naplouse (a confirmer), et nous prodiguons moults conseils a notre amie qui s'y trouve sur la protection de son argent et de ses bijoux contre une descente de militaires. Je telephone a mon collegue 'Ala, qui vit a Naplouse. 'Ala est un Palestinien de nationalite jordanienne, et il a peur des militaires comme un vrai Palestinien qu'il est. En plus, il est dans une situation inconfortable, car son permis de sejour israelien est perime. Il me demande ce qu'il devrait faire si les militaires appellent au haut-parleur tous les hommes du quartier a sortir dans la rue.

Qu'est-ce que je peux bien lui repondre ?

20h.

Micael telephone : il y aurait un incendie en centre-ville, entre la poste et la rue principale. Vincent nous raconte quand meme une histoire drole de Sari : les militaires qui occupent son immeuble ont voulu lui interdire de

telephoner, mais il a insiste pour garder son portable parce qu'il est citoyen Francais et que le consulat pourrait vouloir l'evacuer. Le militaire a donc pris son portable et colle un code d'acces dessus pour empecher Sari de telephoner, et il a fait ca tellement bien que Sari en lisant la notice a pu enlever le code secret et recommencer a telephoner comme avant.

21h.

On entend des gros coups de boutoir sur du metal. Nous appelons Claude : ce n'est visiblement pas le moment de sortir promener le chien, il y a des militaires a tous les metres qui defoncent les portes des magasins avec la fameuse massue de 5 kilos. Badaboum, badaboum. Peut-etre que Micael est encore en train de picoler. Elle nous dit aussi qu'elle vient de voir trois reportages successifs sur France 2 sur les exactions commises par les Israeliens a Ramallah et ailleurs. Il y a aussi une bombe dans le centre-ville de Jerusalem-Ouest, trois blesses dont un grave. Et une semaine d'occupation en plus !

Depuis ce matin, nous pensons beaucoup au film "Underground" et a l'histoire de ces gens qui restent enfermes pendant plus de quarante ans dans la cave, ignorant que la guerre est terminee. Nous esperons que l'on nous previendra quand nous pourrons refaire surface ?

Vincent, Anais, Chadia et Theo

Mardi 02/04/2002, 6h du matin

Je suis reveillee par le bruit de la massue de 5 kilos sur les portes des magasins de la rue, en fait ca ne s'est pas arrete de la nuit, avec en prime les bombardements et les tirs de mitrailleuse lourde a l'helico. On se demande vraiment sur quoi ils peuvent bien tirer. Mes petits camarades dorment encore, et je demande comment ils font, le bruit est assourdissant. J'essaye de mettre la tete sous l'oreiller pour me rendormir, puis, en desespoir de cause, je me leve et je prepare soigneusement ce que je vais raconter aux journalistes d'RMC s'ils me rappellent ce matin : cette fois-ci, ils vont m'entendre ... En attendant, je consulte mes mails de la nuit : 22 messages, ca me fait encore plus plaisir qu'hier. Un mot d'encouragement de mon amie israelienne, que la situation consterne et qui va bien entendu participer

a

la manif de Gush Shalom organisee pour demain. Un mot d'un ami francais d' origine algerienne, qui me dit que mon recit a rappele certains evenements d'Algerie a sa mere, ca ne m'etonne pas. Un mail d'amis parisiens qui me racontent la diffusion de nos temoignages. Et puis, des messages d'inconnus qui ont recu nos textes d'une maniere ou d'une autre, et qui nous souhaitent bon courage ; une femme juive (francaise ?) et d'autres qui me font part de leur solidarite, il y a meme un message qui vient du

Nicaragua !

7h.

Le bruit des massues s'interrompt. Evidemment, il fait jour, et il faut faire bonne figure devant d'eventuels journalistes, en meme temps on se demande comment ils feraient bien pour etre la les pauvres. Dommage, j'aurais voulu qu'RMC appelle pendant qu'on entendait le boucan.

7h20.

Coup de fil. Ce n'est pas RMC, c'est Radio-Orient. Nathalie de Bethleem leur a donne nos coordonnees. Je fais mon petit laius. Le journaliste est scandalise par mes histoires de pillage, il n'en avait absolument pas entendu parler. Apparemment, ce sont surtout les chaines arabes du cable qui diffusent cette info, l'Europe n'a pas encore les details, mais ca va>

venir.

8h30.

On entend un pilonnage intense pas tres loin de chez nous, nous ne savons pas ou. Ils en font de la charpie, on ne sait pas de quoi, mais de la charpie pour sur. On apprend que les bureaux de Jibril Rajoub (la Securite

Preventive) sont encercles, avec 400 personnes dedans ; les bombardemens

de cette nuit c'etait sur eux. L'armee a pris 60 personnes dont 20 enfants

en

otage pour en faire un bouclier humain. Les otages ont reussi a cacher un telephone portable et a communiquer avec des journalistes arabes. Claude nous dit qu'elle a vu des ambulances sortir en convoi de l'hopital. Le pilonnage continue, accompagne maintenant de tirs de mitrailleuse lourde depuis un helicoptere. Karmel, une amie qui habite a Beitunia, pres de la Securite Preventive, pleure au telephone : ils n'ont pas dormi de la nuit, ils sont en train de se faire bombarder, et ils sont encercles par les chars. Elle s'attend a ce que les militaires debarquent chez elle d'une minute a l'autre, elle est terrorisee. Elle nous dit aussi que les militaires sont alles chercher les vingt enfants qu'ils ont pris en otage dans une creche ou ils dormaient. Ann telephone a son tour : l'immeuble de la Securite Preventive est aneanti, qu'est-il arrive aux 400 personnes qui

s'y trouvaient, mystere. Et dans Haaretz : "06:55 Israel denies Palestinian claims it used a human shield for assualt on PA Preventive Security HQ", ils esperent qu'on va les croire.

Anais revient a des preoccupation plus terre a terre : elle doit telephoner a son employeur a Jerusalem pour dire qu'elle ne pourra pas venir travailler aujourd'hui. Chadia pense aussi a appeler Bir Zeit, ou elle travaille, mais se dit que l'universite doit etre fermee de toute facon. Nous nous disons que nous allons finir par devenir sourds avec toutes ces explosions. Depuis plusieurs jours, nous avons un bourdonnement constant dans les oreilles a force d'entendre les chars et les helicopteres passer et repasser, a l'exception de Vincent qui met ca sur le compte du frigo, c'est beau l'optimisme.

9h20

Vincent sur Internet. Les bombardements continuent. C'est un miracle que l'electricite et le telephone marchent encore. Le theatre / cinema al-Kasaba, sur la Place de l'Horloge, est detruit. Toutes les institutions qui faisaient de Ramallah une ville agreable a vivre s'effondrent peu a peu, c'est sans doute ca aussi le but de cette guerre. Nathalie telephone de Bethleem : elle non plus n'a pas dormi de la nuit, elle a maintenant des chars qui manoeuvrent devant chez elle, et pas encore de nouvelles des copains de Dheishe, ou l'attaque a ete extremement violente. Claude nous raconte qu'elle a telephone au consulat de France a Jerusalem-Ouest le matin, et qu'elle a eu au bout du fil une employee israelienne. Quand Claude lui a raconte que diverses choses, y compris des bibelots, avaient ete volees chez ses voisins par les militaires, la femme lui a repondu : "Mais tu ne crois pas que les objets ont ete voles par des gens apres que les militaires sont partis ?" Consternant, surtout quand on sait que "les gens" n'ont pas pu sortir de chez eux pendant cinq jours.

10h30

Luc au telephone de Gaza. Il trouve que la situation a Gaza est anormalement calme, et trouve que c'est de mauvais augure, mais doute qu'il puisse y avoir la-bas une attaque semblable a celle de Ramallah : Gaza est trop densement peuplee, trop vaste, trop tendue et trop armee, cela

risquerait d'etre

un bourbier pour l'armee israelienne. Des frappes aeriennes seraient plus probables. En meme temps, il y aurait des internationaux et des Palestiniens gazzaouis qui auraient ete deportes de Ramallah a Gaza depuis hier. Peut-etre que Sharon compte jouer une carte diplomatique en proposant de creer un mini-Etat palestinien a Gaza, pour que sa proposition soit refusee par les dirigeants palestiniens et que la balle retombe dans leur camp ? Peut-etre aussi qu'il veut tout simplement se debarrasser de quelques internationaux sans avoir a les expulser et de quelques Palestiniens sans avoir a couvrir les frais d'emprisonnement ? Ou bien

tout betement qu'ils aillent repandre les recits de terreur a Gaza avant l'invasion ? Affaire a suivre.

12h.

Hussein au telephone. Hussein est une sorte de grand fier-a-bras qui raconte en temps normal blague sur blague d'une grosse voix qui s'entend jusqu'a Tel Aviv. Aujourd'hui il me repond d'une toute petite voix presque tremblante : "Il y a un char devant ma maison, je crois qu'ils se preparent a entrer". Il me donne des nouvelles de ses amis, qui ont ete arretes lors des rafles des derniers jours et ont disparu. Il me demande ce que je fais. Pour essayer de le reconforter un peu, je lui parle des messages que nous envoyons et de toutes les reponses que nous recevons en solidarite. Et cet homme avec qui je n'ai jamais eu une conversation serieuse finit par me dire, en pleurant presque : "Il faut continuer. Il faut dire que nous sommes en train de mourir." Je telephone aussi a Atallah, un autre ami du meme acabit. Celui-la est plus pechu, mais quand meme stresse : plus d'eau ni de telephone depuis deux jours, il n'y a plus que le portable, et le puits qui se trouve sous

la maison. Il ne peuvent pas s'approcher des fenetres car leur maison se trouve sur la route principale d'acces des chars dans Ramallah. Il avait beaucoup d'amis a la Securite Preventive et ne sait pas ce qu'ils sont devenus. Je me souviens que lors de la derniere invasion de Ramallah, je connaissais des gens qui s'etaient refugies dans les bureaux de la Securite Preventive, dans l'idee que le seul service de securite palestinien qui coopere encore vaguement avec Israel ne serait pas attaque. C'est sans doute pour ca qu'il y avait des femmes et des enfants a l'interieur cette fois-ci. J'ai aussi au telephone une amie grecque de Jerusalem, qui me raconte de quoi finir de me couper l'appetit : des amis l'appellent de Ramallah et pleurent en demandant de l'eau potable.

13h20.

Nous dejeunons quand meme (ragout de legumes et riz) et nous constatons que fumer est fortement deconseille par le ministere israelien de la defense, car nous avons epuise notre provision de cigarettes. Tant pis, c'est une bonne occasion d'arreter de fumer. Ma proprietaire est un peu paniquee, elle constate que les militaires sont de nouveau en train d'inspecter des maisons dans notre rue, elle me demande ce qu'elle doit faire s'ils

viennent encore chez nous. Je lui dis que nous ouvrirons la porte, comme la derniere fois, et je renonce a me poser trop de questions. La-dessus, Vincent, Anais et Chadia vont faire la sieste, et nous nous mettons d'accord pour que j'y aille a mon tour quand l'un d'entre eux sera leve, au cas ou Shlomo viendrait nous rendre visite pendant ce temps (Shlomo est le sobriquet universel que nous avons attribue aux soldats israeliens, et nous trouvons que nous avons quand meme ete gentils).

14h30

Coups de fils successifs des consulats de France et de Grece, qui nous parlent tous les deux d'evacuation, mais de facon differente. Le consulat

de France nous dit qu'il y aurait peut-etre une levee du couvre-feu a 16h,

et que auquel cas il recommande aux trois Francais de se debrouiller pour aller a Qalandia, a 5km d'ici, par leur propres moyens et qu'une voiture consulaire les attendrait de l'autre cote au check-point. Nous avons quand meme bien rigole : nous dire de nous debrouiller pour rejoindre Qalandia pendant la levee du couvre-feu, c'est soit de l'humour tres mauvais, soit de l'inconscience pure. Le consulat de Grece en revanche dit qu'il ne s'agirait que d'une mesure d'evacuation des etrangers sans levee du couvre-feu, avec coordination avec l'armee israelienne, laquelle armee israelienne aurait annonce a 14h30 aux consulats qu'ils avaient de 14h a 16h pour evacuer, bonne blague toujours. De nouvelles negociations seraient en cours pour evacuer de 16h a 18h, comme il est deja 15h au moment ou j'ecris ces lignes, je sens qu'ils vont annoncer a 16h30 que c'est bon pour 16h-18h.

15h.

Magdi, mon collegue qui est egalement coince a Ramallah, telephone : ils ont annonce la levee du couvre-feu dans son immeuble. Il veut venir me chercher en voiture pour partir a Jerusalem. Je lui dis qu'ils n'ont pas encore leve le couvre-feu chez nous, ca ne me parait pas raisonnable de se pointer comme ca. Ann retelephone deux minutes plus tard, Magdi est en route vers chez moi - et elle m'annonce ca au moment ou on entend une rafale. Je hurle dans le telephone : je ne partirai pas sans etre sure que le couvre-feu est leve dans mon quartier. Du coup, Magdi a fait demi-tour et est reparti vers Jerusalem.

15h15.

Ca y est, le couvre-feu est leve pour deux heures, mais les voitures n'entrent pas dans Ramallah. Pas d'evacuation donc, car nous entendons encore des tirs et nous sommes d'accord tous les quatre pour dire que nous n'accepterons de circuler qu'en voiture blindee. Nous sortons sur le trottoir : tout le monde est dans la rue, fait des courses dans la mesure du possible et semble tout abasourdi d'etre dehors. Nous nous repartissons les taches : Chadia fait la queue dans un magasin. Vincent et Anais partent en courant vers leur appartement et reviennent avec quelques affaires et surtout toute la nourriture qui y restait - c'est toujours ca que les Israeliens n'auront pas, si jamais ils se decidaient a le "visiter". Je me precipite avec ma camera numerique pour prendre des photos de la rue et des appartements qui ont ete saccages (en piece jointe). Ce n'est pas encore aujourd'hui que nous arreterons de fumer, nous avons meme recupere du charbon pour le narghile. Le temps de faire tout ca et de bavarder un peu avec les voisins, et c'est deja fini, on rentre. Maher, le proprietaire, a constate que les militaires avaient encore referme le robinet d'alimentation en eau de l'immeuble, et le rouvre, mais l'eau n'arrive plus. Nous allons donc etre bientot a court, heureusement, il y a un puits sous l'immeuble. De toute facon, nous avions deja commence a economiser l'eau en recuperant celle de la vaisselle pour la chasse d'eau et en nous lavant au lavabo, et nous avions rempli des bouteilles et achete de l'eau minerale avant l'invasion. Il y a une rumeur qui dit que l'occupation ne durerait que jusqu'a vendredi ; si ca se confirme nous ne devrions pas avoir de probleme majeur. Nous entendons neanmoins encore quelques coups de feu et quelques ambulances passer. On nous raconte qu'un habitant d'une vieille maison, dont les WC etaient a l'exterieur, a ete abattu par un sniper et que l'une des ambulances qui passent vient de recuperer son cadavre. La voisine de Claude raconte aussi qu'elle a su par une source que nous ignorons que des medecins et des journalistes palestiniens ont ete braques par les militaires et forces de se deshabiller et de se coucher dans la boue, et de fouiller les maisons d'autre Palestiniens. Les militaires ont aussi mange ses chocolats d'ailleurs. Micael a vu de sa fenetre juste avant la levee du couvre-feu 17 Palestiniens les mains ligotees qui marchaient derriere un char sous la pluie battante ; seul un vieillad n'etait pas ligote et leur remettait leur capuche sur la tete. La levee du couvre-feu n'etait qu'une parenthese.

17h30

Nous rentrons a la maison, encore tout etonnes d'etre sortis. Nous avons l'impression d'avoir couru le marathon tellement nous avions perdu l'habitude d'etre aussi actifs. C'est tout juste si Chadia ne s'endort pas sur le canape, mais Rania, la voisine, qui a fait un grand tour dans Ramallah durant le couvre-feu, a plein d'histoires a raconter, notamment une maison occupee ou les militaires auraient mange des conserves de nourriture pour chien. Maintenant, elle est dechainee et nous raconte comment son pere a voulu la marier a un petit gros moche et bete. Nous sommes quand meme nettement plus detendus maintenant que nous savons que le monde exterieur existe toujours. Cela dit, notre joie est de courte duree, car les recits de cauchemar recommencent : Sari, qui a reussi a partir pendant le couvre-feu, nous appelle pour nous dire qu'au moment meme ou il s'en allait, les militaires ont arrete cinq medecins du Croissant-Rouge qui amenaient une ambulance devant son immeuble et nous demande d'appeler la Croix-Rouge Internationale pour les prevenir. Et Claude, qui a accompagne un voisin blesse depuis plusieurs jours a l'hopital, a assiste a une ceremonie funebre des plus tristes : la morgue de l'hopital etait debordee, et l'hopital a appele les familles des defunts pour assister a l'enterrement de vingt-cinq cadavres dans une fosse commune creusee dans le jardin de l'hopital.

Les mots commencent a nous manquer pour qualifier les actes des Israeliens. Il va de soi que nous les avons deja traites de tous les noms d'oiseaux que nous connaissons. En relisant nos textes, nous avons l'impression d'etre revenus au Moyen-Age : pillages, massacres, il ne manque que les viols pour completer le tableau, mais nous nous disons qu'ils doivent etre trop degoutes par les Arabes pour accepter le contact physique avec eux, d'ou l'explication de tous les materiels pornographiques qu'ils ont laisses dans leur sillage. On dirait les recits des Croisades vues par les Arabes.

Vincent, Anais, Chadia et Theo

à suivre …